Certains ouvrages souffrent de leur
quatrième de couverture, ou de leur illustration de couverture. «
L’Imprudence », je ne l’aurais pas ouvert si j’avais été face à lui en
librairie. La couverture : une jeune femme asiatique au visage mystérieux
que l’on imagine nue et couchée dans des draps maculés. La quatrième de
couverture parle d’un roman sensuel, de jouissance. Cela faisait beaucoup
(trop) de clichés dont je souhaite me tenir à l’écart.
Et cela aurait été fort dommage car je
serais alors passée, sans me retourner, devant un petit roman de 140 pages, qui
mérite d’être lu. L’auteure, Loo Hui PHANG signe ici son premier roman,
prometteur.
Pourtant, les premières pages vont
malheureusement aller dans le sens que je crains : le roman s’ouvre sur
une scène de fesses. Désappointée je suis. Mais ce fut bref, une page et demi
plus tard, nous voilà plongé dans un autre univers. La narratrice est
vietnamienne, mais a vécu au Laos, jusqu’à ce que ses parents quittent le pays
pour la France, elle avait alors 1 an. Son frère était alors beaucoup plus âgé.
D’ailleurs il raille sa sœur, qui n’est pas une vraie vietnamienne, parce que
d’après lui, elle ne parlera jamais sans cet accent occidental. Il la raille,
et pourtant une complicité solide demeure entre eux deux, bien qu’elle se
taise, s’affronte et se lise uniquement dans les regards.
La narratrice vit à Paris, 23 ans,
photographe, férue d’hommes, qu’elle consomme avec frénésie. Florent, qui ouvre
le récit, s’égrène au fil des pages, comme une bouée de sauvetage, des images
de leurs corps-à-corps fébriles et violemment nécessaires, répondant à une
volonté qu’aucun ne maîtrise. Cet homme qui s’impose, plus qu’aucun autre, par
une sorte d’alchimie qui ne se laisse pas comprendre.
La narratrice retourne chez ses parents qui
eux vivent à Cherbourg. Avec le frère qui se laisse complètement aller, jouant
à la console à longueur de journée et fumant du shit à la même dose que sa sœur
s’envoie en l’air avec de parfaits inconnus. Un coup de téléphone viendra
briser cette homéostasie déjà plus que fragile : la grand-mère maternelle,
Waipo, vient de décéder. Le frère s’effondre, notre héroïne se souvient, la
mère organise, le père choisit de rester en France.
Vol vers Savannakhet, retour vers cette
contrée qu’elle n’a pas vue depuis ses dix-sept ans. Car elle y est retournée
contrairement à son frère qui, paradoxalement, ne vit que pour les souvenirs
qu’il a laissés là-bas. Au fil du récit, on se rend compte que la narratrice
est bien plus proche de sa grand-mère qu’il n’y parait car elle aussi, à sa
manière, a choisi de se rebeller contre les diktats de sa culture. Entre
secrets de famille et reliques bien cachées par la défunte, on assiste à la
« reformation » d’une unité familiale autour de la grand-mère, à
l’inversion des rôles, où la petite sœur prend sous son aile ce grand frère qui
part à la dérive. Où cette petite sœur aussi assistera aux confessions de son
grand-père, tout en fumant avec lui des 555. Un retour sur les lieux de
l’enfance de sa mère, sur une histoire de couple et d’amour, au bord du Mékong.
Sur des souvenirs partagés de boissons à la couleur du fleuve.
Je ne dirais pas que ce roman est sensuel,
c’est pour moi un mot fort galvaudé qui a perdu de son sens originel et qui est
juste « à la mode ». Audacieux oui, féministe même car la narratrice
nage à contre-courant, refusant même une union forcée à ses 15 ans, consommant
les hommes à son gré, sans se soucier du qu’en dira-t-on.
C’est une jolie première fois que ce roman à
l’écriture tendre et métaphorique parfois. Un roman presqu’initiatique, une
jolie histoire d’amour familiale, servie au bord du Mékong.
Un roman qui me démontre, encore une fois,
qu’il ne faut pas s’arrêter à ses premières impressions. Un joli morceau de
rentrée littéraire 2019 servi par Actes Sud.
(Emilia Sancti)
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