mercredi 13 novembre 2019

Jean GIONO « Les vraies richesses »


Cet ouvrage est sorti en 1935. La seconde guerre mondiale n’a pas encore pointé son nez, GIONO n’a pas encore eu de gros ennuis. Il est jeune, plein d’espoir, très contestataire par son analyse anarchiste et pacifiste (c’est cette dernière qui va bientôt lui coûter cher). « Les vraies richesses » est de ces livres inclassables : peut-être un peu roman en partie autobiographique, mais plutôt essai, même si somptueux travail de poésie en prose. Les chapitres se suivent sans se ressembler, par exemple l’un d’eux est théâtral, mythologique, biblique même. En bref, tout l’univers de GIONO paraît compresser dans ce bouquin.

« Les vraies richesses » fut écrit à l’époque du Contadour, ce hameau où GIONO et quelques-uns de ses amis se sont réunis deux fois l’an entre 1935 et 1939, jouant aux bons vivants et profitant de la vie, isolés et maîtres du monde, le refaisant. Ce livre est contemplatif, olfactif, sensible, amoureux de la nature, des animaux, des rivières, du soleil, des arbres et du ciel. Mais pas seulement. Il est aussi un formidable pamphlet contre le progrès à tout prix, l’individualisme, le capitalisme, la destruction de la nature, les humains des villes : « Je suis le compagnon en perpétuelle révolte contre ta captivité, qui que tu sois, et si tu n’es pas révolté en toi-même, soit que le travail ait tué toutes tes facultés de révolte, soit que tu aies pris goût à tes vices, je suis révolté pour toi malgré tout pour t’obliger à l’être ». D’ailleurs le livre commence du côté de Belleville, où GIONO peut coucher ses sentiments sur la vie épouvantable dans les villes où les humains ont désappris les gestes simples du quotidien et la connaissance de leur environnement.

La brève pièce de théâtre met en scène un mendiant et sa fille. Lui fut roi, ne va pas tarder à devenir dieu, sa fille en est persuadée, d’autant que c’est elle qui, à travers sa jeunesse, l’éduque. GIONO s’autorise un luxe : proposer le dernier chapitre inédit de l’un de ses romans les plus connus « Que ma joie demeure » qui rappelle son point de vue exposé dans un certain « Les vraies richesses ».

Puis vient le GIONO par lui-même, les journées du côté de la Provence, loin des conglomérats, l’odeur de pain remplaçant celle de la pollution et des usines, ce pain que l’on partage comme on partage un bien précieux ou un secret. Ce pain qui représente les paysans, les vrais, ceux qui refusent la société industrielle, le développement sans limites des fermes agricoles. Cette société loin des vicissitudes des capitales et grands pôles décisionnaires : « De cette terre d’Île-de-France qui était aussi humaine que n’importe quelle autre, tu as fait sortir les palais barbares, dicteurs de lois, rois des arts, silos à phosphore où dort, inutile, la cristallisation des intelligences mortes. De cette terre capable de porter un grand poids d’arbres, tu as fait sortir des forces artificielles qui imposaient la distraction du monde naturel. Tu trompais la jeunesse des enfants avec de fausses mystiques, tu faisais travailler les hommes pour de fausses richesses, sous l’admirable tendresse de ton ciel gris où survit le regard des poètes massacrés ».

GIONO dénonce, foudroie en même temps qu’il enchante, philosophe. Il se place en visionnaire par sa révolte contre le gaspillage des matières premières, la nourriture. Les pages sur la vie des blés devenus marchandise sont époustouflantes. Aujourd’hui, on dirait que ce texte est écolo. À l’époque il est sans aucun doute juste lucide et prévenant, un poil utopiste. On peut avoir le sentiment que le monde dépeint en 1935 est révolu, pourtant la lecture de ses « richesses », celles de la terre et de l’intérieur de l’âme humaine, sonne comme actuelle, voire moderne. C’est ce GIONO là qui enchante, qui fascine par son maniement de la langue, de la poésie, par sa description de la nature, celle qui n’a pas besoin de l’Homme pour s’épanouir. Sa lecture est parfois ardue mais toujours divine, elle peut perdre le lectorat mais lui permet en fin de compte de toujours retomber sur ses pattes pour mieux l’approcher et la sanctifier. Deux récits viendront par la suite augmenter celui-ci, « le poids du ciel » paru en 1938, et « Triomphe de la vie » en 1942, formant un triptyque. Il est fort probable que nous y revenions à brève échéance.

(Warren Bismuth)

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