Récit de
vie et Histoire mêlés dans un documentaire tout à fait étonnant ! Non pour
le sujet (la vie dans un ghetto durant la seconde guerre mondiale) mais bien
pour le lieu géographique à partir duquel peu d’écrits de cette période sont
arrivés jusqu’à nous : la Biélorussie ! Ouvrage comme
rapiécé où les scènes s’enchaînent avec une rapidité quasi diabolique. Hanna
KRASNAPIORKA livre ici des images (oui des images tant le potentiel évocatoire
de l’ouvrage est fort) de ce qui s’est passé dans l’un des plus grands ghettos
d’Europe, tristement classé deuxième en nombre de morts.
Hanna
KRASNAPIORKA raconte dans les années 1970 ce que fut sa vie entre 1941 et 1942,
quand lorsqu’à 15 ans, elle et sa famille sont assignées à résidence dans le
ghetto de Minsk, un ghetto construit seulement quelques semaines après la
rupture du pacte germano-soviétique et au commencement de l’invasion allemande.
Le ghetto de Minsk : entre 1941 et 1943, 100000 prisonnier-es dont 20000
juifs y furent entassés, seuls 2000 à 5000 en seraient ressortis vivants. L’on ressent, à la lecture des pages, qui filent et
font défiler devant nous de terribles moments, l’impuissance totale et le
désarroi des prisonnier-es.
Il est difficile, après cette lecture, de différencier véritablement camps de la mort et/ou de déportation, de ce qui s’est passé dans le ghetto. On y trouve des différences, certes, les gens se terrent dans des habitations, dont les résidents précédents ont été chassés ou plus vraisemblablement tués. Il reste des bribes d’une société qui a existé, fut un temps, notamment avec la mention du photographe, mais tout cela reste très fugace. Les étoffes jaunes cousues, les règles au sein même du ghetto, encore et toujours pour rappeler aux juif-ves qu’il-les sont persona non grata dans la cité, et doivent obéir tout à la fois à des règles injustes et absurdes (ne pas marcher sur les trottoirs, ne pas saluer).
La sélection existe aussi dans le ghetto : qui travaille, qui peut travailler, qui est essentiel à l’effort de guerre ? Les autres seront tués, souvent pour des motifs autant arbitraires que fallacieux. Les enfants enterrés vivants ou égorgés, les hommes qui creusent les fosses où leurs cadavres viendront s’empiler, après avoir été arrosés d’essence puis fusillés. Ces femmes, trop belles, que l’on prend comme femmes de ménage et qui se retrouvent à servir d’esclaves sexuelles, ou alors que l’on tue, sur ce simple constat d’une beauté trop dérangeante, sans doute
Hanna
KRASNAPIORKA reconstitue ses souvenirs sur ce ghetto, le quotidien pour une
famille juive devant porter cette étoffe (et non une étoile) jaune. Hanna qui a
vu sa maison brûler, son père partir au front, a assisté à trois pogroms, a vu le typhus se répandre, tellement
de gens mourir. Ce livre en un sens elle ne l’écrit pas seule : elle est
allé chercher des témoignages d’anciens prisonniers. Et là il est difficile de
ne pas penser au remarquable travail de Svetlana ALEXIEVITCH elle-même
biélorussienne.
Plusieurs
personnes se succèdent pour parler de leurs souvenirs : violence, crasse,
famine, maladies, pogroms, torture,
morts, certains pelotons d’exécution se déroulant… en musique ! Tous ces faits nous
sont contés à travers des lettres que l’auteure nous confie dans un dernier
effort pour faire connaître la vérité. Récits émaillés d’autres documents,
extraits quant à eux de journaux tenus par des amies. Cela vient renforcer ce
que l’auteure nous livre, comme une patate chaude. Car il y a de l’urgence dans
les mots qui sont écrits, l’urgence d’être exhaustive, de raconter le mal. Mais
aussi de raconter le bien. Ces gestes qui ont sans doute sauvé, ces cachettes
où des inconnus saisissent les compagnes et compagnons d’infortune d’un même
élan, pour échapper aux nombreux pogroms dont il ne subsistait, après
coup, que des rues lavées du sang versé par celles et ceux qui n’ont pas eu la
chance de se cacher.
Et puis
les moments de grâce à l’intérieur du ghetto : les mariages, les femmes
qui veulent malgré la peur et l’appréhension rester coquettes, celles qui
parviennent à percer les barbelés et trouver des complices afin de s’évader.
« Demain, nous quitterons pour
toujours ce maudit ghetto. Quoi qu’il arrive, nous n’y reviendrons pas. Nous
sommes prêtes à tout. Si c’est la mort, alors qu’elle soit digne. Si c’est la
vie, alors, qu’elle nous offre la liberté ». Sous le joug allemand certes, mais encadrés par des
biélorusses, on assiste parfois à des actions, certes isolées mais salvatrices,
pensons à Otto, qui, de nombreuses fois épargna à l’auteure et à ses compagnes,
le pire. On repense à ces pommes de terre échangées, à la chaleur d’un poêle
qui réchauffe le corps et le cœur.
Oui le récit qui est
fait dépasse l’entendement mais montre aussi à quel point, dans ces moments
d’une noirceur indicible, il y a des rais de lumière. Chacun-e d’entre nou-es a
les moyens d’être cette fragile bougie qui ne se consume pas et reste debout,
conservant, jusqu’au bout de la cire, sa dignité et son aménité pour son
prochain. Davantage que les horreurs qui finissent par devenir presque banales
dans le contexte de l’extermination raciale, retenons la solidarité, les mains
tendues, les tunnels sous les grillages, les embrassades, l’humanité, au sens
noble, en somme.
On ne peut ressortir
indemne de cette lecture. Comme tous les ghettos, celui de Minsk finît par être
liquidé. Celles et ceux qui ne purent ni s’échapper ni se cacher furent tué-es,
abominablement. Celles et ceux qui purent se cacher ont parfois péri sous les
bombardements venus par la suite. Un pan d’histoire qui doit être connu, car
hormis le ghetto de Varsovie, on parle peu de ce qui se passa en Biélorussie à
cette époque.
Tous ces
témoignages bousculent, pourtant ils sont sans trémolos, sans en rajouter des
caisses, la vérité est déjà assez glaçante. Surtout de ne pas surenchérir, ne
pas entrer dans un jeu morbide. Ce qui a sauvé Hanna ? Peut-être son
éducation : elle avait appris l’allemand à l’école, la connaissance de
cette langue, comme le raconte ce récit, lui fut plus qu’utile.
À la
fois récit historique et précieux témoignage paru dans sa langue natale en 1984,
« Lettres de ma mémoire » est un document fort et jusqu’à ce jour
resté inédit en France, ici traduit du biélorussien par Alena LAPATNOIVA sous
la direction de Virginie SYMANIEC, par ailleurs fondatrice et directrice des
éditions du Ver à Soie, merci à elle d’avoir proposé quasiment l’intégralité de son
catalogue en version Epub, en ces temps troublés où nos librairies nous
manquent. Grâce à elle, nous avons pu découvrir ce texte, merci aussi pour
elles, pour eux.
Mais
revenons au présent livre : la préface, particulièrement éclairante sur la
situation politique en Biélorussie à l’époque évoquée dans ce témoignage, est
magistrale et signée, outre les deux femmes nommées ci-dessus, Jean-Charles
LALLEMAND. Alors, quand les librairies auront rouvert, quand il sera à nouveau
possible de se procurer des livres en papier dans des librairies indépendantes,
faites-le ! De plus, comme beaucoup de maisons d’édition indépendantes, Le
Ver à Soie sera en danger, alors en achetant ce bouquin, d’une part vous
aiderez une éditrice 100 % indépendante, d’autre part vous aurez entre vos
mains et vos murs le témoignage d’un traumatisme jusque là peu mis en
lumière : la vie dans le ghetto de Minsk. Bravo au Ver à Soie et merci
pour ce très beau livre ! Laissons la parole à l’auteure en guise de
conclusion : « Je n’ai pas
inventé cette histoire. J’ai raconté ce que m’a dicté ma mémoire (…) je
l’écrirai probablement toute ma vie ».
(Emilia
Sancti & Warren Bismuth)
Bonjour,
RépondreSupprimerOh oh, voilà qui est très tentant ! La succession de témoignages, cela me fait penser à la manière dont Svetlana Aléxiévitch construit ses essais.. bon, vivement la réouverture des librairies !
Bonjour, c'est en effet assez proche du travail de Svetlana Alexievitch, et merci pour votre intérêt, c'est toujours un bonheur.
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