« Savez-vous ce qu’est un roi carotte ?
Il s’agit d’une appellation locale. Le roi carotte est celui se contente de ce
qu’il a. Il sait exactement ce dont il a besoin, refuse le superflu ou ce qui
est hors de sa portée. Il est en accord avec l’univers et les rythmes de la
vie. Il aime la solitude et, par-dessus tout, la tranquillité. Un roi carotte
est celui qui cultive une passivité intense et une paralysie exubérante. Aucun
geste inutile. Un maximum d’efficacité pour un minimum d’efforts ».
Contrairement
à ce que son titre pourrait laisser présager, ce « Roi carotte » ne
s’adresse pas précisément aux plus petits. À 30 ans Nicolas Wurtz (Nico,
Mammouth pour quelques intimes) est l’un de ces rois carotte que l’on croise au
hasard de sentiers, lui sur sa vieille mob, faisant le tour des chemins de
France afin d’échapper à un passé un peu tumultueux et encombrant. Il échoue
sur le bassin d’Arcachon (l’auteur y a vécu) et va y rencontrer une bande de joyeux
drilles avec lesquels le lectorat ne va pas tarder à faire plus ample
connaissance.
Deux
périodes s’entrecroisent dans ce roman facétieux : le passé, lorsque Nico
faisait équipe dans la rédaction d’un journal parisien avec son vieil ami
Robert, pote et complice dès l’adolescence. Et puis il y a le présent du côté
d’Arcachon, où le même Nico loue une barque pour visiter la région ainsi que
faire le point sur sa vie. « Heureux
d’être seul. Pourtant je me méfie de ce goût que j’ai pour la solitude. Car
quand je suis seul, j’ai tendance à ressasser les mêmes pensées. Je sais que
mon passé va ressurgir, qu’il faut que je le digère, sans quoi il va me peser
sur l’estomac comme ce repas indigeste que m’ont offert les paysans qui m’ont
découvert un matin dans leur grange ».
Avec simplicité
et humour, Geoffroy LARCHER déroule son histoire. À Paris Nico fut témoin d’une
noyade/meurtre sur un pont. Il décida de mener une enquête sobre (humm… Pas
toujours…) et discrète. Pour cela, il a demandé des renseignements à Claudine,
une ex de Robert aujourd’hui entichée d’un flic. La victime était Antoine
Tellier, un type qui menait une double vie amoureuse. De fil en aiguille, entre
passé et présent, Nico rencontre pas mal de gens, dont Liza, la fiancée
d’Antoine, enceinte. Enfin, il serait plus juste de préciser l’une des
fiancées. Car Antoine semblait avoir un certain succès auprès de ces dames, par
ailleurs il était en couple et avait des enfants.
Lors du
premier interrogatoire, Liza plut beaucoup à Nico, qui alla de fait commencer à
mentir sur la vie d’Antoine, qu’il inventa, pour impressionner, séduire et
manipuler Liza, et par déduction dévaloriser Antoine. Une Liza effectivement à
la fois fascinée et choquée par ce que lui contait un bon Nico en mode
mythomane séducteur.
Mais
tout va capoter. Nico s’enfuit tout en écrivant parallèlement un petit journal
de bord destiné au propriétaire du bateau qu’il loue du côté d’Arcachon, un
certain Monsieur Mesnil. Ce journal est un peu le fil d’Ariane du roman,
entamant une partie des chapitres. C’est dans ce bateau que Nico va faire main
basse sur le journal (un autre) d’une certaine Myriam, fille de Monsieur et
Madame Mesnil, et qui semble aimer les hommes d’une manière un tantinet
exagérée et sournoise. Nico, lui-même grand amateur de jeunes filles, se met à
la recherche de cette Myriam, d’autant qu’elle a déjà eu pour amants ses
nouveaux amis.
En bon charmeur
de dames, le Nico tombe amoureux de Catarina, visiblement moins débordante que
Myriam. Il va d’ailleurs finir par mettre la main sur cette dernière, qui lui
propose de devenir le gardien du bateau de son papa. Une manière pour Nico de
pénétrer dans l’intimité des Mesnil…
Un roman
mené tambour battant, au rythme des vagues de l’océan. Geoffroy LARCHER, entre
autres journaliste pour la revue Schnock, est un sacré conteur. Son texte
truffé d’anecdotes juteuses se tient. Tout en partant vers diverses pistes,
alliant passé et présent, l’auteur, qui pourrait pourtant finir par se noyer,
maîtrise parfaitement le gouvernail et le sextant. Nico, ce Roi carotte, est un
bien joli personnage que l’on pourrait classer grossièrement dans les doux
rêveurs décroissants. « J’ai alors
travaillé comme un forcené dans tous les domaines sans réussir dans aucun.
C’est à ce moment-là que j’ai définitivement baissé les bras et développé le
culte de la non-ambition. Pendant des années, j’ai tiré une forme d’orgueil à
ne rien faire. Ma non-ambition allait-elle m’aider à devenir un roi
carotte ? ». De l’insupportable Guitou au simplet Dédé en passant
par l’effacée Liza ou l’amoureuse tendre et libre Myriam, les protagonistes de
cette histoire ont une gueule, attisent la tendresse et l’affection. Nico agace
par son passé émaillé de mensonges et de manipulations, mais il envoûte par sa
pensée présente sur la simplicité volontaire.
« Le
Roi carotte » fut originellement sorti en 1998, puis 2012. Ici, ce sont
les superbes éditions du Ver à Soie qui reprennent le flambeau pour une
troisième édition très belle, avec un livre au papier quasi charnel et à la
présentation impeccable, qui vient tout juste de voir le jour.
(Warren Bismuth)
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