mercredi 27 mai 2020

Geoffroy LARCHER « Le Roi carotte »


« Savez-vous ce qu’est un roi carotte ? Il s’agit d’une appellation locale. Le roi carotte est celui se contente de ce qu’il a. Il sait exactement ce dont il a besoin, refuse le superflu ou ce qui est hors de sa portée. Il est en accord avec l’univers et les rythmes de la vie. Il aime la solitude et, par-dessus tout, la tranquillité. Un roi carotte est celui qui cultive une passivité intense et une paralysie exubérante. Aucun geste inutile. Un maximum d’efficacité pour un minimum d’efforts ».

 

Contrairement à ce que son titre pourrait laisser présager, ce « Roi carotte » ne s’adresse pas précisément aux plus petits. À 30 ans Nicolas Wurtz (Nico, Mammouth pour quelques intimes) est l’un de ces rois carotte que l’on croise au hasard de sentiers, lui sur sa vieille mob, faisant le tour des chemins de France afin d’échapper à un passé un peu tumultueux et encombrant. Il échoue sur le bassin d’Arcachon (l’auteur y a vécu) et va y rencontrer une bande de joyeux drilles avec lesquels le lectorat ne va pas tarder à faire plus ample connaissance.

 

Deux périodes s’entrecroisent dans ce roman facétieux : le passé, lorsque Nico faisait équipe dans la rédaction d’un journal parisien avec son vieil ami Robert, pote et complice dès l’adolescence. Et puis il y a le présent du côté d’Arcachon, où le même Nico loue une barque pour visiter la région ainsi que faire le point sur sa vie. « Heureux d’être seul. Pourtant je me méfie de ce goût que j’ai pour la solitude. Car quand je suis seul, j’ai tendance à ressasser les mêmes pensées. Je sais que mon passé va ressurgir, qu’il faut que je le digère, sans quoi il va me peser sur l’estomac comme ce repas indigeste que m’ont offert les paysans qui m’ont découvert un matin dans leur grange ».

 

Avec simplicité et humour, Geoffroy LARCHER déroule son histoire. À Paris Nico fut témoin d’une noyade/meurtre sur un pont. Il décida de mener une enquête sobre (humm… Pas toujours…) et discrète. Pour cela, il a demandé des renseignements à Claudine, une ex de Robert aujourd’hui entichée d’un flic. La victime était Antoine Tellier, un type qui menait une double vie amoureuse. De fil en aiguille, entre passé et présent, Nico rencontre pas mal de gens, dont Liza, la fiancée d’Antoine, enceinte. Enfin, il serait plus juste de préciser l’une des fiancées. Car Antoine semblait avoir un certain succès auprès de ces dames, par ailleurs il était en couple et avait des enfants.

 

Lors du premier interrogatoire, Liza plut beaucoup à Nico, qui alla de fait commencer à mentir sur la vie d’Antoine, qu’il inventa, pour impressionner, séduire et manipuler Liza, et par déduction dévaloriser Antoine. Une Liza effectivement à la fois fascinée et choquée par ce que lui contait un bon Nico en mode mythomane séducteur.

 

Mais tout va capoter. Nico s’enfuit tout en écrivant parallèlement un petit journal de bord destiné au propriétaire du bateau qu’il loue du côté d’Arcachon, un certain Monsieur Mesnil. Ce journal est un peu le fil d’Ariane du roman, entamant une partie des chapitres. C’est dans ce bateau que Nico va faire main basse sur le journal (un autre) d’une certaine Myriam, fille de Monsieur et Madame Mesnil, et qui semble aimer les hommes d’une manière un tantinet exagérée et sournoise. Nico, lui-même grand amateur de jeunes filles, se met à la recherche de cette Myriam, d’autant qu’elle a déjà eu pour amants ses nouveaux amis.

 

En bon charmeur de dames, le Nico tombe amoureux de Catarina, visiblement moins débordante que Myriam. Il va d’ailleurs finir par mettre la main sur cette dernière, qui lui propose de devenir le gardien du bateau de son papa. Une manière pour Nico de pénétrer dans l’intimité des Mesnil…

 

Un roman mené tambour battant, au rythme des vagues de l’océan. Geoffroy LARCHER, entre autres journaliste pour la revue Schnock, est un sacré conteur. Son texte truffé d’anecdotes juteuses se tient. Tout en partant vers diverses pistes, alliant passé et présent, l’auteur, qui pourrait pourtant finir par se noyer, maîtrise parfaitement le gouvernail et le sextant. Nico, ce Roi carotte, est un bien joli personnage que l’on pourrait classer grossièrement dans les doux rêveurs décroissants. « J’ai alors travaillé comme un forcené dans tous les domaines sans réussir dans aucun. C’est à ce moment-là que j’ai définitivement baissé les bras et développé le culte de la non-ambition. Pendant des années, j’ai tiré une forme d’orgueil à ne rien faire. Ma non-ambition allait-elle m’aider à devenir un roi carotte ? ». De l’insupportable Guitou au simplet Dédé en passant par l’effacée Liza ou l’amoureuse tendre et libre Myriam, les protagonistes de cette histoire ont une gueule, attisent la tendresse et l’affection. Nico agace par son passé émaillé de mensonges et de manipulations, mais il envoûte par sa pensée présente sur la simplicité volontaire.

 

« Le Roi carotte » fut originellement sorti en 1998, puis 2012. Ici, ce sont les superbes éditions du Ver à Soie qui reprennent le flambeau pour une troisième édition très belle, avec un livre au papier quasi charnel et à la présentation impeccable, qui vient tout juste de voir le jour.

 

https://www.leverasoie.com/

 

(Warren Bismuth)


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