samedi 7 novembre 2020

Jeton NEZIRAJ « Vol au-dessus du théâtre du Kosovo… »

 


La case ci-dessus ne permet pas d’écrire le titre de ce livre en entier. En effet, en se fiant à la couverture, il faudrait rajouter le titre de la seconde pièce, « Une pièce de théâtre avec quatre acteurs, avec quelques cochons, vaches, chevaux, avec un Premier ministre, une vache Milka, des inspecteurs locaux et internationaux ».

Ce recueil de deux pièces de théâtre contemporain signées Jeton NEZIRAJ, auteur dramatique kosovar est, comme il nous y a par ailleurs habitué, déboussolant. La première de 2012 met en scène sur 19 séquences une poignée de personnes qui vont devoir jouer une pièce au Théâtre National du Kosovo le jour de l’indépendance du pays. Une pièce dans la pièce donc. Or, la date cette indépendance n’est pas connue, tandis que le technicien du théâtre voudrait en profiter pour réaliser son rêve : construire un avion destiné à faire le tour du monde.

La pièce devrait entre autres reprendre le discours du Premier ministre accompagnant la commémoration de l’indépendance. Or, le discours lui non plus n’est pas connu. Alors que faire ? « Je veux que ce discours soit intégré à la pièce. De cette manière, il fera partie de… Vous savez, ce fameux discours de Martin Luther King ? Ce sont les artistes qui ont rendu ce discours célèbre ».

D’autant que le discours en question semble imminent et que la troupe n’est toujours pas prête pour une pièce qui devra durer deux heures tout de même. Le metteur en scène est de plus en plus nerveux et anxieux, le travail artistique à accomplir semblant irréalisable. Le but de la pièce consiste en effet à décrire un événement qui n’a pas encore eu lieu.

De plus, tout se complique lorsque le secrétaire général du ministère de la culture demande d’apporter au texte de la pièce en préparation des correctifs, biffer des mots ou bouts de phrases, en rajouter. Le metteur en scène est près d’exploser.

Une question s’impose d’elle-même : doit-on inclure le discours du premier ministre dans la pièce puisque l’élu refuse pour l’instant de le prononcer ? « Le jour où la première fois on a joué Guillaume Tell en Allemagne a été proclamé fête nationale. La même chose peut se produire avec cette pièce. On s’en souviendra à chaque commémoration de l’Indépendance. Au fil des ans, les gens ne saurons plus si la pièce a été montée à cause de l’Indépendance ou si l’Indépendance a été proclamée à cause du spectacle ».

Pièce jouée à 100 à l’heure, elle est dissidente et cynique, avec un humour que ne renierait pas le théâtre de l’absurde. Derrière cet imbroglio, c’est bien une pièce engagée politiquement présentée ici, mais traitée de manière hilarante.

La seconde pièce, dont je ne vous ferai pas l’affront de retaper le titre, fut écrite en 2016 et se base sur le même fait historique : l’indépendance du Kosovo. Mais ici de très nombreux acteurs vont se succéder. Acteurs ? Pas toujours, puisque vont notamment parler une vache, un taureau, un cochon, un cheval, un bouc, sans oublier la souris, la brebis et la fameuse vache Milka.

En plus de tout cela viennent un boucher propriétaire d’une boucherie-abattoir, sa femme militante ainsi que plusieurs inspecteurs. Pour les animaux, il y est question de leurs prochaines techniques d’abattage que ne manquera pas d’imposer l’Union européenne. Pour le boucher et sa femme, le but premier est la survie car les nouvelles règles en vigueur pourraient s’annoncer draconiennes et impossibles à tenir sans crever.

La Serbie pourrait ravir la place du Kosovo en sien de l’Union européenne, l’occasion pour les personnages de se questionner sur le départ du Royaume-Uni de cette belle et grande famille européenne.

Une partie de la pièce se découpe comme un roman, sans l’identité des protagonistes qui dialoguent. KAFKA et autre BECKETT ne sont pas loin, ce théâtre de l’absurde joue dans la cour des grands jusqu’à la dernière page en forme de poème : « … Europe, ouvre-nous ta porte / Ne nous laisse pas dehors / Dans ton sein reprends-nous / Car nous en avons assez bavé / Nous avons eu assez peur comme ça / Nous en restons là / Nous y mettons fin, car nous sommes fatigués / Et si jamais la pièce ne vous a pas plu / Allez à Bruxelles, allez vous plaindre / Allez vous plaindre ».

Ces deux pièces viennent de paraître aux éditions L’espace d’un Instant. Traduites de d’albanais par Sébastien GRICOURT et Evelyne NOYGUES, elles valent largement le détour. Le même Jeton NEZIRAJ, qui devient par ailleurs un habitué du blog grâce aux quelques publications sorties chez L’espace d’un Instant, revient très bientôt chez le même éditeur avec « Bordel Balkans » et « Cinq saisons » en un volume.

https://www.sildav.org/editions-lespace-dun-instant/presentation

(Warren Bismuth)

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