mercredi 17 mars 2021

Boris KHAZANOV « L’heure du roi »

 


Un petit pays du nord de l’Europe aux tout débuts de la seconde guerre mondiale. L’armée allemande sous l’étendard de la croix gammée vient occuper le royaume où règne Cédric X, un roi qui refuse de se lancer dans une surenchère guerrière et provocatrice, va même faire mine de s’aplatir devant l’occupant. Un roi médecin qui va même ausculter un certain Adolf HITLER. Avant de provoquer le Reich d’une manière fort inattendue...

Ce petit roman pourrait être en partie une lointaine réécriture du film « Le père tranquille » réalisé en 1946 par René CLÉMENT, dans lequel un homme quelconque et bon père de famille entre en résistance de manière clandestine, ignorée même de ses proches. Ici c’est un roi, il feint la collaboration, pour mieux faire passer un message très fort sur l’antisémitisme (message que je ne vous dévoilerai pas, mais qui vaut son pesant de bottes allemandes).

Sauf que… Derrière cet épisode par ailleurs à l’accent plutôt humoristique et aux teintes de conte persan, c’est un tout autre message que veut faire passer KHAZANOV. Ce livre fut écrit par un auteur soviétique dans les années 1960, époque à laquelle, malgré la déstalinisation, il est encore impossible de critiquer à charge l’U.R.S.S. Les écrivains choisissent parfois de recourir à l’allégorie. Car ici, l’armée nazie des années 40 représentée est en fait celle de l’Union Soviétique de la fin des années 60, qui vient d’intervenir à Budapest puis à Prague par exemple, et fait preuve d’un autoritarisme qui n’a rien à envier au Reich défait.

Malgré cette forme indirecte de message, il est difficile voire impossible de publier en U.R.S.S. pour un auteur soviétique qui n’est pas aux ordres de Moscou. Alors interviennent les Samizdats, livres non autorisés qui circulent en douce, clandestinement, qui sont lus en cachette, aux risques et périls des passeurs. Ce sera le cas pour « L’heure du roi ».

Boris KHAZANOV a été prisonnier en goulag de 1949 à 1955 pour propagande antisoviétique. Médecin, il est secrètement écrivain. « L’heure du roi » est publié pour la première fois en 1976, dans une revue israélienne de langue russe. Interdit de publier dans son propre pays, KHAZANOV émigre en 1982 en Allemagne. Il reste encore très peu connu en France où seulement deux de ses romans sont parus. « L’heure du roi » est très loin des longues fresques de la littérature russe, il pourrait même en être l’antithèse. Pourtant, il appartient au même pays, avec la même histoire, souvent sombre et lourde, racontée ici par ricochets et dans un format assez bref. La postface signée Elena BALZAMO résume en quelques pages, non pas le livre, mais sa genèse en tant que texte politique masqué. Il a été une nouvelle fois réédité en 2020 et 2021 chez Viviane Hamy.

(Warren Bismuth)

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