dimanche 13 juin 2021

Charlotte MONÉGIER « Voyage(s) »

 


C’est par un recueil de poésie en vers libres que nous revient Charlotte MONÉGIER aux éditions Lunatique, après les remarquables « Petite fille » (roman) en 2014 et « Le petit peuple des nuages » (nouvelles) en 2020.

 

Après de nombreux périples un peu partout dans un monde lointain et inconnu de nous, la jeune globe-trotteuse a fini par poser ses valises à Clichy, et prend la plume pour se remémorer. Dans une langue délicate, fine et à la fois puissante, elle évoque la mer, le ciel, cet horizon les délimitant, horizon jamais atteint mais fantasmé. « Les soleils qui se couchent, / Vous ne prendrez pas ceux qui se lèvent ».

 

Charlotte MONÉGIER joue avec les corps, les scrute et les sculpte, les fait s’enlacer, se découvrir et s’habituer, se dompter et se respecter, s’aimer et se consoler. Participer au monde aussi, à ses images : « Nos tongs faisaient des bruits de baisers ». Avec cette fenêtre sur la mer qui pourrait bien permettre de prendre son envol tant la figure du corps ailé est prégnante, ces ailes dans le dos comme poussées par magie. Pégase n’est pas loin. Mais il faut rester sur la terre ferme malgré les envies, les besoins : « J’ai les deux mains dans les poches / De peur de m’envoler ».

 

Dans ce recueil les déplacements sont incessants. En train surtout. Et les rencontres furtives avec les autochtones chez qui l’aventurière est hébergée, à la bonne franquette après des heures toutes en improvisation. La fenêtre disparaît. « Il n’y avait pas de fenêtre sur l’océan. / Pas de mur, pas de toit / Pour cacher les étoiles ». Découverte de l’autre, de sa culture.

 

Certains des titres de poèmes sont partie prenante du texte, ils en sont l’amorce et se coulent, se lovent en début de vers. Ils ne sont plus titres mais lien, première fondation d’une passerelle ouverte sur la mer.

 

Charlotte MONÉGIER écrit ce monde, celui de l’autre bout du monde, qu’elle a fréquenté, aimé, celui que peut-être elle ne connaîtra plus. Une page est tournée. Celles de ce recueil sont quelques dizaines, délectables et adroites, épurées et communicatives, talentueuses et imagées. Mais est-ce bien un recueil ? Si les évocations paraissent orphelines, le lien (ce fameux lien) existe entre elle, il est la Vie, une tranche de celle-ci, et puis la fin, non de la vie, mais du Voyage, les valises déballées, l’aventure terminée. « Si elle était revenue ici, c’était bien pour lui. / Une autre sorte d’oiseau, / Une autre sorte de plante, / La nature entière, peut-être, / Qui s’étire en rouge-doré / Sur les sommets de la ville / Et qui la couvre de baisers / La couvre de baisers / À l’approche de l’hiver ».

 

Restent les instantanés, somptueux, l’horizon comme repère, ailes dans le dos repliées (fatiguées ?), détachement sans nostalgie, retour au bercail après un long voyage, des voyages que Charlotte MONÉGIER nous fait ici partager grâce à sa plume alerte et élégante. Petit bouquin qui injecte du carburant, dans une écriture qui touche son but, qui renvoie immédiatement une sensitivité palpable. Sorti chez Lunatique, il est à lire, à partager, à relire et à méditer, il est une collection de cartes postales ouvertes sur le monde, inscrite dans une autre collection, celle des Mots-cœurs des éditions Lunatique.

https://www.editions-lunatique.com/

(Warren Bismuth)

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