mercredi 28 juillet 2021

Nikos KAZANTZAKI « L’ascension »

 


Nouvelle intrusion ce mois-ci au sein du challenge « Les classiques c’est fantastique » des blogs Au milieu des livres et Mes pages versicolores pour Des Livres Rances sur le thème « On dirait le sud ». Pas un classique, mais bien plus que cela. « L’ascension » de Nikos KAZANTZAKI est un roman resté jusque là inédit, il vient juste d’être enfin publié.

Nikos KAZANTZAKI (1883-1957) est surtout connu pour ses romans « Alexis Zorba » de 1946 (avec la célèbre adaptation de 1964 en un « Zorba le grec » de Michael CACOYANNIS), « Le Christ recrucifié » de 1948 ou encore « La dernière tentation » de 1954 (devenue en 1988 « La dernière tentation du Christ » sous l’œil de Martin SCORSESE), sans oublier sa « Lettre au Gréco », sa colossale autobiographie que pourtant j’avais lâchement abandonnée, faute de combattants. Pourtant c’est ici un roman de 1946 inédit et récemment publié par les éditions Cambourakis qui est à l’honneur. Nul doute qu’il deviendra un classique de la littérature grecque, à l’instar d’autres titres de l’auteur déjà entrés dans cette catégorie.

Cosmas, le double de KAZANTZAKI, est un jeune écrivain qui, après vingt ans d’exil, revient dans sa Crète natale durant la dernière agonie de son grand-père. Il est marié à Noémi, une juive vite rejetée par la famille de Cosmas.

En Crète Cosmas revoit d’anciens compagnons de son grand-père, des capétans centenaires ou presque, qui content leurs aventures passées, leurs exploits et leurs déceptions de la Grèce du XIXe siècle. Ils racontent leurs guerres, celle de 1866 notamment, leurs désillusions, rendent hommage au grand-père sur son lit de mort avec force anecdotes.

Noémi est une polonaise qui a connu récemment la deuxième guerre mondiale, les privations et les souffrances, elle en est ressortie marquée : « Je suis une femme fragile, j’ai du mal à m’exprimer, j’ai la tête pleine de terreurs et j’ai quelquefois l’impression que, si tu me touches, je vais tomber en morceaux. Ne me demande pas pourquoi et comment j’en ai la preuve, mais j’ai la certitude que ce monde va à l’abîme, que nous n’en échapperons pas, que nous allons nous noyer dans un fleuve de sang, y compris, hélas, les enfants à naître ! ».

Cosmas ne cesse de se poser des questions sur le monde qui l’entoure. Se sentant désarmé, isolé, il décide, alors que Noémi est enceinte et va devoir aller vivre dans la famille de Cosmas la haïssant tant, de partir pour l’Angleterre, comme dans une volonté de refaire le monde, de participer à sa rénovation par le biais des intellectuels, dans un grand élan collectif, une « Internationale de l’Esprit au-dessus des passions politiques » qui éclairerait les masses. « Naturellement, nous croyons en quelque chose qui n’existe pas encore, mais en y croyant nous le créons. Est inexistant ce que nous n’avons pas encore assez désiré, ce que nous n’avons pas assez abreuvé de notre sang, pour lui donner la force de franchir le seuil secret, obscure, de l’inexistence ».

En Angleterre, Cosmas va faire connaissance avec des intellectuels, marcher sur les pas de Bernard SHAW, de SHAKESPEARE (la place de la littérature y est très présente), mais être rapidement déçu voire désillusionné par le monde des intellectuels.

Ce livre est bien plus qu’un roman. En effet, il est à la fois une autobiographie, une réflexion très poussée sur la foi, la spiritualité, mais aussi sur le désir de changer le décor morne du monde ainsi qu’une fine analyse politique. Il est empreint de mythologie et baigne dans une atmosphère religieuse, en partie par la figure quasi christique de son héros. « Un grand danger menace notre civilisation. C’est seulement en regardant ce danger droit dans les yeux, sans peur, que nous pourrons le vaincre. J’ai toujours su que les ennemis mortels des forces du mal sont le courage et la lumière. Mais je ne parvenais pas à avoir clairement le visage de ce danger. Je ne pouvais donc pas deviner que nous devions combattre et comment. Une ombre pesante et insaisissable m’en empêchait. Mais, ce matin, j’ai vu clairement son visage, en rêve ».

« L’ascension » est aussi une initiation, une réflexion sur la place des morts dans la société des vivants, peut-être influencée par son voyage en U.R.S.S. en 1927, où il fit connaissance avec l’écrivain roumain Panaït ISTRATI qui deviendra l’un de ses grands amis. Ce roman est d’une puissance extraordinaire, tenu par une plume quasi mystique, une écriture ample et majestueuse, d’une solidité à toute épreuve, et torturée par des questionnements sans fin. Immense œuvre variée, riche, qui se lit comme une profession de foi, mais aussi comme une chute de la pensée altruiste et christique. Moment privilégié, cette incursion dans l’œuvre de KAZANTZAKI va forcément en amener d’autres tant le choc fut brutal, avec ce petite goût de « reviens-y » qui colle au palais. Sorti en 2021 chez Cambourakis, qui depuis quelques années, s’attache à faire rééditer KAZANTZAKI. Affaire à suivre de très près.

https://www.cambourakis.com/

(Warren Bismuth)



4 commentaires:

  1. Les choix éditoriaux de Cambourakis sont toujours très bons!

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  2. Je suis curieuse de ce que tu dis de ce titre. Merci pour cette double participation mensuelle, tu as fait mieux que moi !

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  3. J'avais un Kazantzaki à la maison (Alexis Zorba je crois) mais impossible de remettre la main dessus. J'avais vu sa tombe à Heraklion et je me suis promis de le lire un jour mais je t'avoue que je ne suis pas certaine de commencer par L'Ascension...

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    1. Ce dut être une sacrée émotion que cette visite de sa tombe !

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