mercredi 20 octobre 2021

Jacques JOSSE « Le manège des oubliés »

 


Ce manège-là comporte vingt-sept éléments, vingt-sept scénettes, calibrées, sur mesure, cousues main, de deux pages en général, parfois trois, jamais quatre. Les acteurs en sont les invisibles de l’histoire, les anonymes, principalement ceux qui composent la ruralité bretonne, en bord de mer ou dans les terres.

Jacques JOSSE perpétue son œuvre, dans son univers singulier fait de gueules de travers, alcoolos ou élevées au bon tabac, ces gueules sur lesquelles des malheurs sont tombés, parfois en averse, des anecdotes que tout le village raconte des décennies plus tard tellement elles ont marqué le décor brumeux.

Ces tronches de biais sont surtout celles d’hommes. Quelques femmes viennent toutefois se glisser dans les lignes. Mais ce qui est frappant, c’est que ce « elle » est plus souvent réservé à dame la mort qu’à de vraies femmes. Car la mort, hantant l’œuvre de Jacques JOSSE, est encore ici aux aguets, prête à brandir sa faux à tout instant. On arpente les cimetières, les bistrots, les quais à St Brieuc comme ailleurs. On se balade autant dans la campagne que dans le temps.

Et puis au hasard d’une page surgit une célébrité, poète ou musicien, son souvenir en guise d’hommage marqué : « Avant-hier, c’est l’annonce de la mort de Jim Harrison qui l’a déstabilisé. Il pouvait être cinq heures du matin. Le journaliste disait qu’une crise cardiaque l’avait fauché, le stylo à la main, alors qu’il était en train d’écrire un poème. Il a instantanément coupé le son de la radio ».

Recueil de poèmes libres en prose jubilatoire, jouant avec la mort via des faits divers tragiques mais toujours racontés avec cette verve particulière et enivrante, les suicidés, les accidentés et leurs séquelles, les trépassés, les enterrés, tout ce joyeux monde s’est donné rendez-vous sur « Le manège des oubliés », écrivant la petite histoire, celle qui marque au fer rouge les hameaux, villages et petites villes. De l’éclopé malpropre au boiteux ivrogne, un défilé improbable passe sous nos fenêtres. Notons les titres de chaque histoire, imagés et magnifiques, comme ce « L’écopeur de mémoire » ou encore « Des voyageurs immobiles ».

Un défilé d’autant plus improbable que certains des protagonistes ont placé la barre très haut, tel cet Auguste BONCORS, bouillonnant poète disparu. « C’est en vélomoteur qu’il sillonnait les environs. On l’entendait venir de loin. Les pétarades dues à l’absence de pot d’échappement de sa machine déchiraient le silence. Il lui arrivait de passer en hurlant dans un mégaphone. Ou de circuler sans le moindre vêtement, seulement muni de ses bottes et de sa couronne impériale. Quand il allait se baigner dans le canal de Nantes à Brest, il préférait prendre son vélo et plonger avec à l’endroit où l’eau était réputée profonde ».

C’est tout ceci Jacques JOSSE, des instants tirés du quotidien, loufoques ou dramatiques, ceux des oubliés des encyclopédies, ceux qui sont restés à quai, et qui dans ces récits revivent le temps de quelques pages, pour un bonheur total.

Livre paru récemment chez Quidam, il est un des maillons de l’oeuvre de JOSSE, compacte, ramassée et homogène. La couverture est d’une splendeur absolue et sent les embruns et les marées, comme pour nous plonger immédiatement dans un contenu qui sera somptueux.

https://www.quidamediteur.com/

(Warren Bismuth)

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