mercredi 17 novembre 2021

Tyrfingur TYRFINGSSON « Quand Helgi s’est tu »

 


En Islande contemporaine, un homme, Kristmundur, vient de mourir, il y a dix jours plus exactement. Il se trouve désormais à la morgue, il était le père de la jeune Katrín qui l’a peu connu, et ami de Jón, père d’un jeune homme, Helgi. Ce dernier, dans l’entreprise de pompes funèbres de son père, exerce le métier de thanatopracteur. Il est en train de nettoyer les lieux lorsque fait irruption Katrín, sa petite amie, du moins jouant ce rôle…

Dans cette pièce de théâtre islandaise moderne, l’humour souvent noir côtoie le tragique. « - Il est vraiment froid. / - C’est qu’il est vraiment mort ». Jón est un père adepte de prédictions, des visions lui parviennent parfois. Les face à face sont tour à tour tendus ou absurdes, les scènes dramatiques peuvent s’avérer quasi burlesques. Nous allons faire connaissance avec un boulanger et une petite fille lors de la sortie d’un groupe d’enfants obèses de l’hôpital d’un service de pédiatrie. C’est ce boulanger qui s’occupera du repas des funérailles.

Jón a eu de nouveaux présages, ils concernent Katrín et Helgi, il leur prédit un futur sombre et orageux, agrémentant son discours de quelques détails assez tragiques. Quant à Helgi, il promet de s’occuper des funérailles de Kristmundur : « C’est moi qui vais prendre en charge cet enterrement, intégralement, de la chanson au buffet. Je vais y arriver, ensuite, je pourrai enfin gérer le reste : prendre rendez-vous chez le dentiste, ouvrir un compte d’épargne, louer un gîte pour les vacances, faire une cure de détox ». Car tous les protagonistes de cette pièce semblent intoxiqués, ravagés par les abus, les excès, le mal de vivre, d’où la fuite en avant en s’embrumant le cerveau.

L’auteur dépeint une Islande loin des clichés de carte postale avec tous ces préjugés touristiques sur la qualité de vie dans le pays. À en croire le jeune Tyrfingur TYRFINGSSON, il n’en est rien. L’Islande, isolée géographiquement, l’est aussi socialement et humainement. Une scène que pourtant je ne vous dévoilerai pas et se déroulant autour d’un four crématoire, est à la fois stupéfiante et atroce. L’une, plus comique voire grotesque (le grotesque est d’ailleurs très présent dans le texte), nous apprendra qu’un four crématoire n’est pas un outil de décongélation.

« Quand Helgi s’est tu » contraste en partie dans la ligne éditoriale des éditions L’espace d’un Instant. La situation sociale globale est peu montrée, le climat est plus intimiste, mais toujours très âpre. Les moments décalés sont foison, je pense notamment à cette chanson de Joe DASSIN qui s’invite aux funérailles. Des images, phrases, pensées vulgaires fusent, « Du fun aux funérailles ! ».

Cette pièce s’empare également du sujet de l’homosexualité et la transexualité, elle est riche et dense malgré ses à peine 80 pages. Son style est direct, percutant, moderne lui aussi. Et la mort ne cesse de s’inviter à table pour bâfrer avec des convives obsédés par le profit et l’égoïsme, tous repliés sur leurs propres pensées ou actes. Une Islande méconnue est présentée sans filet ni langue de bois. La pièce est brillamment préfacée par Véronique BELLEGARDE, le duo Raka ÁSGEIRSDÓTTIR et Séverine DAUCOURT assurant la traduction. Ce texte curieux et dérangeant écrit en 2019 vient de sortir aux éditions L’espace d’un Instant.

https://www.sildav.org/editions-lespace-dun-instant/presentation

(Warren Bismuth)

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