mercredi 5 janvier 2022

Eugene MARTEN « Ordure »

 


Avant même la plongée en ces pages « sablemouvantes », nous savons grâce ou plutôt à cause de la couverture et du titre du présent ouvrage que l’on se dirige vers du noir. Et nous ne sommes pas trompés sur la marchandise ! « Ordure » est de ces romans qui suintent par leurs pores, qui sentent les miasmes et la pourriture, hanté par des bestioles faisandées, la crasse et les effluves frelatés.

Sloper est un agent d’entretien quelque part aux États-Unis, dans un quartier possiblement populeux, qui en tout cas ne semble pas être une invitation au tourisme. Il vit dans un immeuble chez sa mère. À la cave plus précisément. La mère réside au-dessus, en propriétaire avare et de santé chancelante (ses jambes douloureuses l’empêchent de se déplacer), qui loue à des personnes dont nous ne saurons rien, si ce n’est qu’entre elle et eux c’est loin d’être l’ambiance de fête. Sloper ne croise jamais sa mère ou presque. Il lui paie le loyer de la cave, de manière quasi bestiale : « Une fois par mois, il glissait une épaisse enveloppe sous sa porte au rez-de-chaussée. Espèces uniquement. Il n’était pas autorisé à utiliser la cuisine et devait faire les lessives. Qu’elle lui envoyait par un sac plastique par le vide-ordures ». Ce vide-ordures qui est un peu leur seul lien de communication à elle et lui, leur seul relais d’échanges vocaux, c’est dire. Et la mère, Sloper ne l’aperçoit que de loin, de la haute fenêtre de la cave, alors que la vieille se meut difficilement dans son fauteuil roulant poussé par une aide-soignante.

Les pages de ce livre sont imprégnées d’odeurs nauséabondes, de climat malsain voire carrément répugnant qui décrit un quotidien au milieu des ordures au sens propre (?) ainsi que dans un cadre professionnel, mais aussi au-delà avec cette cave dégueulasse, jusqu’aux idées malséantes de la plupart des protagonistes de ce texte bref et dérangeant. L’écriture d’une profonde oralité, sorte de langage de la rue, accompagne cette peinture dégradée d’une race humaine dégénérée.

Et puis ce « tu », cassant la narration à la troisième personne du singulier, tout à coup. Même si nous n’avons rien demandé, MARTEN nous colle la truffe dans la merde et la boue, nous décrivant une scène odorante, et nous y impliquant aux côtés de son Sloper, comme pour tenter de nous le faire apprivoiser. Car le boulot, excusez mais c’est du costaud : détritus, poubelles dégueulantes de déchets produits par des salariés, et les conditions de travail, dégradantes, sans contrats, tout à l’impro, sans sécurité ni rien. Oui, mais voilà, Sloper, comme si nous étions trop optimistes ou insouciants à son égard, trouve un corps de femme. Dans une benne à ordures. Ce n’est pas tout. Il va le ramener chez lui. Le bichonner. Le dorloter. Le faire patienter dans le frigo. S’exciter à ses côtés...

« Ordure » ne pourrait pas s’appeler autrement tant cette image est persistante tout au fil des pages. MARTEN nous fait pénétrer dans un tourbillon d’odeurs fétides sans aucune chance de salut. La marge de manœuvre est nulle. La prise d’air doit être correctement calculée, elle se situe vers le milieu du livre, au moment d’un souvenir de pêche. Pour le reste, apnée. Ah, si, une autre soupape, mince (car peu visible) : l’humour. « L’ambulance leur livra le perdant d’une rixe au YMCA. Le dernier mot avait été un tournevis dans l’oreille, planté jusqu’à la garde. La victime bandait. Ç’a dû toucher le nerf. Y’avait p’têt une vis à resserrer là-dedans. Je parie ce que tu veux que c’est un cruciforme ».

« Ordure » nous plonge sans masque ni espoir au cœur du quotidien d’un prolétaire vicié états-unien. Sensation de malaise, empuanti par des scènes crues assez insoutenables. Eugene MARTEN, pourtant auteur de plusieurs livres aux États-Unis, semblait n’avoir jamais été traduit en France, c’est désormais chose faite. Ce roman fut d’abord auto édité en 1999 avant de trouver son public. Il paraît aujourd’hui en français chez Quidam, c’est Stéphane VANDERHAEGHE qui en assure la traduction. Un conseil : ouvrez les fenêtres avant d’inaugurer les pages, il ne sera fait aucun prisonnier.

https://www.quidamediteur.com/

(Warren Bismuth)

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