Lors d’une rave party campée dans les bois, Hector, jeune homme en mal de sensations, quitte la fête pour un instant afin de se lover contre un arbre, puis grimpe en son sommet sous une pluie battante. C’est alors qu’un éclair surgit, qu’un océan emplit la forêt et qu’Hector dégringole du hêtre (de son être ?). Trou noir…
Dans un état second, Hector voit des animaux marins jouer de la musique. Brève apparition de son ami Ulysse. Est-elle vraie ou hallucinée ? D’autant qu’Hector va nouer une conversation avec Saison, le lézard qui lui conseille « Pars à la recherche de la phrase qui sauve la vie », tandis qu’Hector ne parvient pas à identifier si c’est lui qui est en train de mourir, ou bien au contraire si chaque humain se délite, le laissant seul rescapé amené à témoigner ultérieurement. Dans ce technival, « Têtes fendues, pirates, free, autogérés, autodégénérés. Un exutoire, un espace de liberté, entre l’extrême pénombre et une lumière, où on disparaît apparaît entre ses amis le temps d’une fugue loin de nos habitudes, on pousse à bout chaque limite ».
Dans ce premier et bref roman aux accents cyber punk, aussi poétique que labyrinthique, kaléidoscopique qu’apocalyptique, Quentin MARGNE (né en 1990, c’est dire si l’avenir lui tend les bras) fait preuve de culot et de dextérité. Langue maîtrisée et frappante, pure et épurée, dans une atmosphère glaciale et futuriste, mais aussi paradoxalement tendant vers un retour ancestral à une sorte d’obscurantisme de masse qui semble faire écho à notre actualité brûlante. Hector craint « Les contrôleurs », ces êtres sans visage qui veillent sur l’obéissance de ses citoyens en voulant « régner seuls sur le royaume des morts », qui pourraient bien être tout droit échappés de pages choisies de « 1984 » d’ORWELL et revisités à la sauce contemporaine.
Roman polyphonique, psychédélique, son titre est d’ailleurs puisé d’une chanson des DOORS, groupe dont l’abus de certaines substances n’est plus à démontrer. Il est aussi un hommage à la beat generation littéraire États-unienne de KEROUAC et consort.
Mais c’est aussi le roman de la perte de repères, d’identité. Hector, on l’aura compris, a abusé de drogues. Voit-il, perçoit-il ce qu’il décrit ? Tout ne se passe-t-il pas dans son seul délire ? La réapparition d’Ulysse permet au récit de répondre à nos questions, le voile se lève sur l’une des images de début de roman qui pourrait peut-être le résumer jusqu’à ce que les digues cèdent : « Une vitesse jamais atteinte explose le sol, ne laisse derrière elle rien que fracas, cratères, remplis d’eau boueuse, paysage de fin ou de début du monde. Des filaments phosphorescents d’effilochent dans le ciel. La foudre s’abat sur le sol et décharge sa puissance accumulée depuis des millénaires. Je m’envole un soir de pluie, une nuit d’orage. Dans ma tête c’est le chaos, la tornade ».
Texte dans lequel la lumière se dispute à l’obscurantisme, où les couleurs se mirent dans une boule à facette déformée, où au prix de la liberté le corps est mis en danger, où la réalité paraît un enfer et la fuite en avant par des paradis artificiels une chimère pouvant s’avérer fatale. « La Célébration du lézard » est un grand premier roman qui trifouille sans ménagement dans notre espace de confort, qui le chatouille avec une lame de rasoir pour mieux le perforer. Il met mal à l’aise, nous perdant dans une lecture moderniste avant de nous remettre sur les rails d’une réalité éclairante. Il bouscule par son atmosphère nébuleuse, sombre et cataclysmique, mais sa force est qu’il propose une lueur éclatante en fin de récit.
L’excellente postface est signée Emmanuelle MOYSAN, par ailleurs responsable des éditions Le Soupirail dont ce titre est extrait. Le Soupirail est aussi membre du collectif d’éditrices indépendantes Les Enlivrantes aux côtés des éditions Signes et Balises, Le Ver à Soie et Le Laboratoire existentiel. Brochette de qualité, tout comme ce roman perturbant et diablement accrocheur sorti en 2021.
https://www.editionslesoupirail.com/
(Warren
Bismuth)
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