mercredi 19 janvier 2022

Raymond PENBLANC « L’éternel figurant »

 


Pour son nouveau livre, Raymond PENBLANC a opté pour des nouvelles, format dans lequel il est souvent particulièrement à l’aise. Douze courtes histoires sont ici au menu, parfois rassemblées dans un thème commun et pouvant posséder des passerelles entre elles.

Les habitants d’un village se regroupent dans une église devant des assaillants armés, un lecteur voit les pages qu’il vient de lire disparaître, des arbres sont plantés dans une allée de la Paix, avant que nous suivions l’opération chirurgicale d’un chien (pages quasi insoutenables). Un homme témoin d’une crucifixion puis en partie lapidé, scène préfigurant une autre nouvelle où il sera question d’un prélude à une décapitation, l’univers de Raymond PENBLANC est riche et varié dans ce recueil. D’une écriture souple, sombre et froide parfois distanciée, l’auteur sait faire preuve d’humour, notamment dans cette représentation pathétique d’une troupe théâtrale à la dérive, avant de narrer une sortie nature tournant au drame dans un style revenu subitement tragique.

Si « L’éternel figurant » est le titre choisi pour ce recueil, il est aussi celui d’une nouvelle, peut-être la plus belle. Car dans celle-ci, Raymond PENBLANC déroule en quelques pages tout son talent d’écriture, alliant parfaitement humour caustique et dramaturgie. Ce figurant de cinéma, acteur multitâches jamais reconnu, évolue au gré de ses rôles en sympathique « loser ». « On m’appelle pour jouer n’importe quoi. Je deviens le figurant bouche-trous. C’est facile, j’ai une gueule passe-partout. Je suis mobile, adaptable, vite disponible. Aussi serviable et généreux qu’un donneur de sang universel. On me réclame pour des bouche-à-bouche délicats, des sauvetages désespérés, et tout de suite j’accours. Je suis la lumière ». Nouvelle à la fois drôle et désenchantée, elle met en scène un clown pathétique, ambitieux mais pas trop, se contentant de miettes et de rôles largement subalternes.

Cette galerie de portraits plus ou moins sympathiques est l’occasion pour l’auteur de s’emparer du corps humain, dans un ouvrage en partie anatomique, thème récurrent reliant presque chaque nouvelle, y compris dans des évocations érotiques quoique profondément pudiques. La précision des scènes sait capter chaque détail de ces tranches de vies, dans un souci chirurgical (ce qui fait sens avec l’aspect anatomique général). La plume est maîtrisée, elle sait parfaitement où elle va et nous embarque avec elle dans ces peintures fluctuantes et ses décors toujours reconstruits, ses paysages jamais répétés.

Raymond PENBLANC est ici sur son terrain de prédilection, entre écriture au cordeau, peintures d’âmes de notre temps, scènes d’amour ou/et de désir, empathie, humour pétillant et chutes soignées (n’y voyez aucune volonté de trait d’esprit évoquant la fin de la nouvelle « Le saut de l’ange », vous en comprendrez ma réflexion à sa lecture), l’univers de l’auteur est ici représenté dans son intégralité, faisant de ce recueil une suite cohérente et opportune de portraits plus ou moins gracieux présents dans toute son oeuvre.

Ce livre à la fois plaisant et dérangeant par certaines de ses scènes vient de sortir aux éditions le Réalgar, l’une des « maisons » attitrées de l’auteur. Le tout se lit d’une traite, lentement, avec une certaine délectation.

https://lerealgar-editions.fr/

(Warren Bismuth)

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