Prizren, grande ville du Kosovo. Yashar y tient un café dans lequel surgit tout à coup son frère Outcha qui vient de perdre son travail d’enseignant. Vit également ici leur sœur sourde et muette. Au Kosovo, à la fin de ces années 1990, la situation politique est explosive entre les serbes et les albanais, dans un improbable conflit interethnique. Sur cette terre yougoslave, la loi du sol est régie par la violence, la peur et la corruption.
Yashar et Outcho sont tiraillés. En effet, ils n’appartiennent à aucune de ces ethnies puisqu’ils sont rroms, en quelque sorte apatrides, et qu’il leur est demandé de choisir leur camp. Des disputes éclatent dans le bistrot. Tout ce que veut Yashar, c’est la paix. « Ecoute, ne me mets pas dans cette histoire de combat. Ça, ce n’est pas mon combat, mon frère. Moi je n’ai besoin d’aucune république. Nous les Rroms, on n’est pas intéressés par les républiques. On se volerait juste les uns les autres. Et personne ne nous donnerait un endroit pour notre république. Alors laisse-moi loin du combat et du courage, laisse-moi travailler comme un humain. Excuse-moi, mon frère, moi je n’ai pas ton courage. Je ne peux pas, j’ai peur, il faut que je soutienne ma famille ».
Les tensions se font palpables, la haine gagne du terrain. Dans cette pièce de théâtre kosovare de 1999 écrite en rromani, le bistrot représente cette terre déchirée que plusieurs peuples veulent s’accaparer. Son propriétaire est la personnification du pacifisme, de celui qui pense que toute terre est bonne, quel que soit son nom ou sa dénomination. Vingt-six scènes brèves viennent mettre en exergue ce conflit complexe, la peur prend peu à peu le dessus, engendre la haine, l’incompréhension, les velléités de domination. Un vol va subitement tout faire basculer.
Ici sont parlées de nombreuses langues, faites des différentes ethnies, mais aussi celle des signes grâce à cette Souada, la sœur sourde et muette, un superbe personnage plein d’empathie et d’abnégation, rendant un équilibre certes précaire par son calme et sa joie de vivre, au milieu d’une guerre.
« Je n’ai jamais eu honte, mais j’ai eu peur quand j’étais jeune, jusqu’à ce que j’obtienne mes diplômes, jusqu’à ce que j’aie lu suffisamment de livres. Les livres m’ont beaucoup soutenu pour me connaître. Qui je suis, et ce que je suis. Et pour aimer, sans avoir peur, la peau que je porte. Aujourd’hui je n’ai pas peur, et je n’ai pas honte d’être un Rrom. Quand je vois ce que font les humains autour de moi, c’est plutôt d’être un humain que j’ai honte ».
La fin de cette pièce sombre et politique est violente et d’une noirceur totale, comme si le Kosovo était abandonné ou ignoré, piétiné. La pièce fut créée en Allemagne en 2000 sous le titre « Kosovo mon amour » puis édité une première fois aux éditions L’espace d’un Instant en 2004. En cette année 2022, une réédition est proposée chez le même éditeur avec ce superbe nouveau titre, pour commémorer la première année du décès du traducteur et préfacier Marcel COURTHIADES auteur d’un travail remarquable.
https://www.sildav.org/editions-lespace-dun-instant/presentation
(Warren Bismuth)
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