dimanche 5 juin 2022

Daniel DE ROULET « L’oiselier »

 


Dans ce court roman de 2021, le suisse Daniel DE ROULET mêle avec brio et de manière jubilatoire l’histoire vraie d’une Suisse militante avec la fiction. Les faits : un certain groupe autonome Bélier se crée dans le Jura Suisse au milieu des années 1970. Des jeunes surtout, prêts à tout pour la reconnaissance du Jura comme 23e canton suisse alors que les plus anciens cherchent à les ramener à la raison. La violence est de mise dans ce pays pourtant si calme et timide : manifestations, action directe, alors que les séparatistes du nord (catholiques) et du sud (protestants) s’entredéchirent.

Parallèlement, en 1977 survient dans l’Allemagne voisine l’enlèvement retentissant du grand patron Hans-Martin SCHLEYER par la Fraction Armée Rouge (4 morts durant l’opération). Retour en Suisse, à la frontière allemande : toujours en 1977 l’aspirant Rudolf FLÜKIGER meurt mystérieusement, suicide à la grenade ! A-t-il été témoin d’un déplacement du corps de SCHLEYER ou victime des Béliers ?

Farceur, à partir de ces faits authentiques, DE ROULET convoque un journaliste, Niklaus MEIENBERG, dont la plume au vitriol ne plaît que modérément aux autorités. Ce MEIENBERG a certes existé et fut bien un journaliste contestataire qui finit par être interdit par son éditeur à partir de 1976. Mais DE ROULET le met ici en scène, l’imaginant enquêter au cœur de ce joyeux merdier sur cette suite nébuleuse d’affaires. Il le fait aller sur les lieux, rencontrer des témoins, tenter de peser le vrai du faux, alors qu’un avion est détourné et que trois activistes de la Fraction Armée Rouge se « suicident » (il n’en est rien bien sûr puisqu’il s’agit d’assassinats). D’ailleurs, tout le monde semble se suicider dans cette histoire ! Ce qui sera le cas de MEIENBERG, mais bien plus tard, en 1993.

« Certains d’entre eux projetaient de nouvelles actions pour aller jusqu’au bout de leurs rêves de république autonome sans dieu ni maître. Le Jura possédait une longue tradition anarchiste dont ils se réclamaient. Il ne s’agissait pas de reconstruire l’Etat, il fallait travailler à s’en passer ». DE ROULET, anarchiste lui-même, raconte ce combat, dans un style journalistique irrévérencieux.

Un pays sans aspérités hormis les montagnes, comme le décrivait le grand écrivain suisse jacques CHESSEX. DE ROULET lui emboîte le pas : « Voilà pourquoi la littérature helvétique a tant de mal à se confronter à la politique. Ses maîtres ou ses sponsors lui soufflent : Circulez il n’y a rien à voir, contentez-vous de nous parler de vos états d’âmes quotidiens ». Pas de vagues surtout. Jamais. Et pourtant, dans ces années 1970 souffle un fort vent de révolte amené par des gauchistes souhaitant en découdre avec le pouvoir, et qui prennent des risques inouïs pour étayer leurs revendications politiques.

Au tout début de 1979, le Jura est reconnu comme canton suisse à part entière. Ce livre nous en montre les étapes, les luttes, la grande Histoire du terrorisme international venant jouer les trouble-fête. Petit roman mais grand par le talent, il est à lire et déguster pour découvrir une page méconnue de l’Histoire suisse. Il est d’ailleurs paru chez un éditeur suisse, La Baconnière.

https://www.editions-baconniere.ch/

 (Warren Bismuth)

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