mardi 21 mars 2023

Violaine BÉROT « C’est plus beau là-bas »

 


Un texte découpé en six séquences (dont une ultracourte, la dernière) censées se rejoindre, se répondre, se compléter, formant un tout, une histoire, un destin. Tout commence avec la mère qui voit son fils aux infos à la télé, frappé puis kidnappé dans une voiture. Puis ce même fils, prisonnier dans un hangar ainsi qu’un millier d’autres gens. Ce fils dont la route croise celle d’un homme taiseux, puis ce fils acclamé par une foule conquise, sa femme à ses côtés.

Récit énigmatique, qui va permettre à son lectorat d’imaginer. Est-on en France ? On répondrait bien affirmativement par déduction, pourtant rien ne le précise. Ce serait bien dans notre monde contemporain immédiat (2021/2022), mais qui nous dit que ce ne serait pas quelques années plus tard ? Tout est ici déconcertant, le style du texte épuré au maximum, violent, poétique, qui se lit d’une traite, sans respiration (où la trouver ?). Le fils est prof de fac, ceci est acté. Mais qu’a-t-il commis pour être fait prisonnier ? Pourquoi a-t-il été relâché puis idolâtré ? « Mais tu n’aurais jamais cru que l’emprise que tu te reconnaissais avoir sur quelques-uns puisse déboucher un jour sur une telle frénésie, et puis tu n’étais pas le seul à travailler sur ce sujet, et pourtant, sur cette estrade, face à ce public survolté qui attend ta parole comme si elle était sacrée, c’est bien toi et non l’un de tes collègues que l’on acclame ».

Récit étouffant par son atmosphère, son écriture et son style. Chaque paragraphe commence par un mot bref sans majuscule, comme pour entrer directement au cœur de l’action sur une pulsion, suivie de longues phrases ponctuées de virgules. La frustration rajoute à la suffocation : nous sommes amenés à nous poser des questions durant tout le texte, essayer de reconstituer un puzzle. L’homme principal du roman, qui est-il ? D’où sort sa femme, jadis cheveux longs, qui les a coupés aujourd’hui ?

Et puis ces jeunes, interloqués puis galvanisés par leur professeur, ils représentent l’avenir de notre société. Quant à leur prof, qui a semble-t-il construit sa vie autour d’idéaux, il est désarmé lorsqu’il doit enfin faire vivre ses propres rêves, il est comme nous, il ne possède pas les clés. « … comment la belle utopie pourrait être fauchée dans son élan, comment on pourrait la broyer, à quelles atrocités cela pourrait conduire, et tu revois les assauts des forces de l’ordre contre ce qui n’étaient que de simples ZAD, ce déploiement impressionnant d’autorité, ce nettoyage brutal, et tu imagines ce que ça pourrait donner contre un projet sociétal d’envergure ».

Peut-on se passer de son confort matériel ou mental pour plonger au cœur d’une révolte, d’une nouvelle vie ? Notre passé est-il le ciment de notre présent ? Comment passe-t-on sans trop de violence intérieure imposée de la théorie à la pratique ? Dans un époustouflant jeu d’économie de mots, Violaine BÉROT laisse le texte ouvert, comme si nous devions proposer nous-mêmes des solutions, terminer le récit. Elle rend son lectorat actif, forcé de créer un cadre, un tout. Quel est le rôle de l’humain sur la terre du XXIe siècle ? Car l’autrice prévient : « Tu n’en reviens toujours pas que l’on n’ait pas fait le rapprochement entre ces régulations naturelles et les pandémies. Car cette maladie qui affecte brutalement l’espèce n’est pas là pour la décimer totalement, non, mais au contraire pour la sauver en l’obligeant à changer ses comportements ».

Cette énigme dans laquelle on plonge pourtant tête première est sortie en 2022 chez Buchet/Chastel, elle prouve bien tout le talent de Violaine BÉROT à nous balader entre deux points, sans rien nous imposer.

https://www.buchetchastel.fr/

(Warren Bismuth)

2 commentaires:

  1. J'ai apprécié "Nue sous la lune" et je pense que ce texte-là pourrait me plaire aussi.

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    1. Des Livres Rances23 mars 2023 à 09:37

      Il est en effet très beau, et assez bref

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