dimanche 16 avril 2023

John MCPHEE « Rencontres avec l’archidruide »

 


Ce livre n’est pas une fiction. Ou plutôt, c’est la vie du militant écologiste David BROWER en partie romancée par des bribes, des chaînons manquants entre deux scènes pour les raccorder. Écrit en 1972, il est l’un de ces fondements de la littérature de Nature writing politique et engagée.

David BROWER, né en 1912, est géologue, c’est lui que l’on suit tout au long de ce voyage marquant. Il a fondé plusieurs associations de défense de l’environnement, dont le Sierra Club Fondation. L’un de ses buts est de démontrer l’inutilité voire la dangerosité d’un projet de grande envergure pour les hommes, un barrage ou une mine d’extraction par exemple. BROWER fait partie d’une équipe d’eco-warriors, déterminés et démontrant par des réflexions scientifiques que telle partie de la nature ne peut être bétonnée.

Le texte se divise entre trois parties : « Une montagne », « Une île » et « Une rivière ». BROWER est alors considéré comme le « Porte-parole de la protection de l’environnement » afin de contrer les grands projets qu’il considère comme inutiles. La première partie du récit est éblouissante et en tous points remarquable et indispensable. En effet, BROWER y devise avec un adversaire, l’un pour et l’autre contre la construction d’une mine. Et le dialogue est extraordinaire. Car l’auteur John MCPHEE ne prend pas part aux débats, il se contente de faire parler les deux interlocuteurs, chacun avançant ses arguments, immédiatement discutés par l’autre. C’est de la haute voltige.

Mais les deux autres parties ne sont pas en reste. La recette fonctionne à merveille : un BROWER toujours disposé à défendre la nature sauvage, même s’il se trouve empêtré dans des affaires et peu à peu poussé au silence au sein de son club.

Dans ce livre, c’est l’histoire moderne, celle de la bétonisation notamment, qui est racontée, des projets se concrétisant grâce à un capitalisme tout puissant, à l’œuvre même dans les coins reculés et perdus des Etats-Unis. Et c’est aussi les bases mêmes de la décroissance qui semblent posées ici. « La théorie de la croissance économique est vouée à l’échec sur une planète aux ressources limitées ».

Un autre problème majeur se pose (on en paie aujourd’hui les conséquences, pourtant il y a quelques décennies il était encore fort tabou), celui du contrôle des naissances. Dans un monde qui se développe économiquement, la surpopulation est un fléau majeur de la pollution, de la surconsommation. Il faudrait pouvoir réguler, sinon nous courons à notre perte. Les paroles giflent, sans contrepartie : « Depuis 1900, nous avons utilisé plus de minéraux que jamais dans l’histoire de l’humanité », et encore le récit se déroule vers le milieu du XXe siècle, et la suite a montré que nous n’avions pas ralenti la cadence, bien loin de là. Les pays sont interdépendants, certains allant chercher des matières premières indispensables à leurs projets loin, très loin, aggravant un peu plus la pollution. La mise en abîme de l’absurde, jusqu’au naufrage final.

« Rencontres avec l’archidruide », derrière son titre un brin farceur, est un texte majeur. Il est une sorte de récit pionnier de ce qui fut appelé à tort l’écologie radicale (ce sont les grands projets qui sont radicaux, pas la défense de notre terre). Il démontre que la catastrophe est inévitable si nous ne changeons pas nos comportements d’humains, si nous ne prenons pas en compte la nature, la faune, la flore. « Les conservationnistes se doivent de gagner, encore et encore. L’ennemi, lui, n’a besoin que d’une victoire. Nous partons avec un handicap. Nous ne pouvons pas vaincre. Tout ce que nous pouvons obtenir, c’est un sursis. C’est le mieux que l’on puisse attendre ».

Les projets ne manquent pas : des mines aux barrages en passant par d’immenses complexes touristiques, le but est de servir l’humain, et bien sûr de faire chauffer le portefeuille afin de glorifier le capitalisme. Seulement, la nature n’en peut plus, et le mal est profond et incurable. Ce livre l’explique à merveille, et réussit un pari ambitieux, celui de faire passer un message d’extrême urgence par le biais du roman, pour toucher plus de  population, pour rendre le combat pédagogique et urgent.

BROWER va connaître des heures dures, lui aussi un peu dépassé par son rôle. Ce livre, qui est en partie sa biographie militante jusqu’aux débuts des années 70 (BROWER est décédé en 2000), témoigne d’une époque, celle où les lanceurs d’alerte écologique passaient clairement pour des pitres. Le présent leur donne pourtant raison. C’est aussi l’occasion de rappeler dans cet ouvrage que seule la lutte paie, il n’y a pas d’alternative. Concernant le développement du tourisme de masse, les images cognent, comme celle-ci, écrite en lettres majuscules : « FAUT-IL AUSSI SUBMERGER LA CHAPELLE SIXTINE POUR PERMETTRE AUX TOURISTES DE S’APPROCHER DU PLAFOND ? ».

« Rencontres avec l’archidruide » est paru en 2009 en France chez Gallmeister dans la prestigieuse et défunte collection Nature writing, il n’a malheureusement jamais été réédité en version poche, ce qui est fort dommageable. Il est en tout cas un outil charnière pour repenser la décroissance et l’extrême dangerosité des besoins superficiels de la société, c’est aussi un moyen précieux de comprendre et d’analyser les étapes par lesquelles nous sommes passés pour parvenir à un monde fou sans limites. Quant à John MCPHEE, il vient de fêter ses 92 ans.

https://gallmeister.fr/

 (Warren Bismuth)

4 commentaires:

  1. Hardillier Virginie20 avril 2023 à 09:26

    Très alléchant, je m'empresse de le commander aujourd'hui!

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  2. Des Livres Rances22 avril 2023 à 09:07

    Hey Virginie ! Ravi de te retrouver par ici ! Oui sacré livre que celui-ci, original et combatif.

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    1. Hardillier Virginie24 avril 2023 à 11:38

      Reçu ce matin, deux autres à finir et je l'attaque! En passant, si tu ne connais pas, vient d'être ré-édité "Le testament de la fille morte" de Colette Thomas, aux éditions Prairial. Une dinguerie issue de sa relation avec A Artaud. À bientôt ici et là!

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  3. Des Livres Rances24 avril 2023 à 12:23

    Merci beaucoup pour la référence, je la note !

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