mercredi 5 avril 2023

Micheline MAUREL « La passion selon Ravensbrück – La vie normale »

 


Les deux textes présentés ici dans une publication de 2022 des éditions À Plus d’un Titre parurent originellement séparément aux éditions de Minuit en 1965 et 1958. Le premier est un recueil de poésie concentrationnaire, le second un roman autobiographique écrit après le retour du camp de Ravensbrück par une Micheline MAUREL en proie aux doutes.

Les poésies de « La passion selon Ravensbrück » furent rédigées pour la plupart dans le camp même, souvent pendant l’appel matinal, qui pouvait durer deux heures et où les prisonnières les plus affaiblies s’écroulaient et périssaient. Ce recueil est empreint de religiosité et évoque sans relâche le quotidien du camp, parfois sous la forme d’alexandrins. Micheline MAUREL (1916-2009) était chrétienne pratiquante, aussi ces poèmes de souffrance se tournent vers l’Au-delà, vers cette « Libération » définitive par la mort.

Micheline MAUREL, résistance, est arrêtée en juin 1943 puis internée rapidement au camp de transit de Romainville. Elle y écrit trois poèmes (publiés ici) avant d’être déportée à Ravensbrück le 29 août. Immédiatement classée « N.N. » pour Nacht und Nebel, en somme une prisonnière condamnée à mort à brève échéance. Par miracle, elle reviendra du camp.

« Tournoyez, tournoyez, corbeaux, oiseaux de mort,

Sur nos squelettes froids qui n’auront pas de tombe.

Vous attendez là-haut qu’une des femmes tombe

Pour fondre sur le reste encore un peu vivant.

 

Parfois touchant nos fronts et parfois s’élevant,

Votre essaim croassant tourne sous les nuages

Et remplit de clameurs le sombre paysage.

 

Mais si nos yeux, déjà, sont mornes et hagards

Vous ne nous aurez pas, corbeaux, il est trop tard »

 

(17 octobre 1944).

Les conditions d’écriture des poèmes furent périlleuses, les préfaces et avant-propos l’expliquent de manière précise. Avant son arrestation, Micheline MAUREL était fiancée à un jeune homme polonais, Tadek. C’est à lui surtout qu’elle pense dans ces poèmes déchirants et amoureux, à lui et à Dieu. Une poésie de l’urgence, rédigée en direct, pour témoigner des conditions de détention, de l’horreur. Ces poèmes valent surtout pour le contexte dramatique, ils sont une trace indélébile de la vie des camps. Ils frappent aussi par l’espoir suscité à partir de début 1945, plusieurs mois après la libération de Paris, et alors que de nombreux camps sont toujours sous domination nazie.

Ravensbrück est libéré le 27 avril 1945, une longue errance commence, le voyage du retour sans fin, certaines prisonnières violées par les soldats russes. La nausée atteint son paroxysme. Ce recueil se clôt peu après ce retour tant espéré, le dernier poème est daté du 22 novembre 1946.

Le roman « La vie normale » fut écrit en 1958, il évoque le parcours de Micheline MAUREL entre début 1947 et fin 1948. Traumatisée, usée par la déportation, la narratrice Laurence se cherche une vie à Londres. Elle est admise dans un hôpital où elle fait la connaissance de Jean-Pierre, un médecin attentif et dévoué. S’ensuit une liaison entre eux. Laurence tombe enceinte mais Jean-Pierre, indirectement guidé par sa mère, ne veut pas de cet enfant…

« La vie normale » est ce que l’on appellerait aujourd’hui une autofiction. Laurence est le double de Micheline, tout du moins à partir du moment où elle se lie avec le docteur. Les noms et les lieux ont été changés. Ici la présence de Dieu se fait moins envahissante, mais rythme cependant les pensées de Laurence/Micheline. Ce roman aborde la quasi impossibilité à trouver sa place après une agonie de plusieurs années en camp. C’est aussi (et peut-être bien trop !) une histoire romantique, où une femme éperdue de « son » homme lui est soumise jusqu’à l’absurde. Malgré l’intérêt du sujet, ce n’est pas un grand roman, l’écriture est lourde et toute l’intrigue semble tournée vers le « bon » docteur Jean-Pierre, même si certaines phrases sont déchirantes : « J’appelais au secours mes compagnes de camp : je voulais les entendre, elles qui savaient tout et qui voyaient clair. Elles passaient devant moi, en troupeau, le long du lac de Fürstenberg, toutes grises, coiffées de leur petit foulard que blanchissait le clair de lune, et courbées sous d’énormes sacs de ciment. Leurs galoches grinçaient dans le sable. En passant, elles me regardaient, et ricanaient tristement : ‘dis-donc, Laurence, elle est jolie, la vie normale…’ ».

La présentation de ce livre atypique par son format (grand et presque carré) est particulièrement soignée. Des femmes se succèdent pour faire revivre la mémoire de Micheline MAUREL, reviennent sur son parcours, y compris après la rédaction de « La vie normale ». Elles démontrent aussi l’intérêt de faire paraître un tel livre, tout en agrémentant leurs propos de souvenirs inédits de Micheline MAUREL, peut-être les moments ici les plus prenants de l’écrivaine de « Un camp ordinaire » qui reste un titre majeur de la littérature concentrationnaire en France, édité une première fois chez Minuit en 1957, réédité en 1985 et 2016. Le présent livre n’est pas aussi ample malgré l’effort et la volonté du souvenir, qui doivent perdurer inlassablement. Des dessins de Micheline MAUREL faits au crayon de papier en 1945 au retour des camps sont ici publiés, ils sont tragiques et beaux à la fois.

(Warren Bismuth)

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