« Jusqu’à l’âge de cinquante ans, il n’avait vécu que du théâtre. Jusqu’à quarante ans, il avait eu des échéances difficiles. Jusqu’à trente ans, il avait crevé de faim ».
Émile Maugin est un acteur de théâtre et de cinéma d’à peine 60 ans mais usé par le métier et l’alcool. Son docteur lui indique que son cœur est celui d’un type de 75 ans et qu’il doit lever le pied. Maugin a eu un enfant avec l’une de ses femmes (il a été marié plusieurs fois) qu’il n’a pas tardé à abandonner. Aujourd’hui il se traîne, lassé de la vie, de son rythme effréné. Métamorphosé par la notoriété, lui pourtant issu d’une famille miséreuse et discrète, est peu à peu devenu irascible, dominateur, autoritaire.
Maugin est un arriviste, séduisant les femmes, les manipulant. Il se voit au-dessus de la mêlée, des quidams sans envergure, pourtant « Il avait encore sa tête d’ahuri de Monsieur-Tout-le-Monde ». Sa vie semblant devenue incontrôlable, il se met en retrait de ses activités, direction Antibes où il s’adonne à la pêche et à une vie en surface plus apaisante. S’il rencontre des autochtones érudits et à l’aise en société, il vit ceci comme un affront, une humiliation, frappé d’un mal-être qui lui montre tous les détails de son environnement immédiat comme répugnants : « L’odeur aussi, les jours comme aujourd’hui, sans un souffle de brise, lui donnait la nausée. Le bateau puait. Ses mains puaient. Il avait l’impression que même le vin blanc, dans la bonbonne qu’on laissait tremper le long du bord pour le rafraîchir, sentait la marée et les vers ».
« Les volets verts » est le roman d’une dérive, d’une descente aux enfers, d’un lâcher prise inéluctable. Maugin victime de son propre rôle, homme sans qualités (aurait dit MUSIL), à l’agonie, cherchant désespérément le bonheur. Les volets verts évoqués dans le titre sont ceux d’une maison que convoitait l’une de ses femmes, qui voyait dans cette demeure le comble de la sérénité et de la réussite. Maugin cherche ces volets verts sans jamais les trouver.
« Il avait pris l’habitude de faire de longues siestes, de lire des scénarios, le soir, dans son lit, en sirotant son dernier verre de vin, de vivre plus salement ». Maugin est devenu ce sale bonhomme dont la vie lui échappe. Le dernier chapitre est particulièrement suffocant, comme une mise en scène théâtrale avec toutes les personnes marquantes qu’il a connues dans sa vie, séquence où il voit repasser toute sa vie. « Les volets verts » est un roman de la fuite, de la recherche vers une impossible reconstruction.
SI vous êtes adepte de l’atmosphère unique de SIMENON (je vois des doigts qui se lèvent), il vous faut lire ce texte, peut-être l’un des plus sales, des plus spongieux, des plus éprouvants de l’auteur, les mots grossiers, pourtant généralement peu utilisés par SIMENON, accentuant un peu plus le malaise. Aucune issue n’est envisageable, aucune bouée de secours ne vous sera lancée, ce roman est irrémédiablement noir et fascinant par sa construction d’une simplicité extrême, où l’écrivain suit son personnage, comme impuissant, passif. « Les volets verts » fut écrit en 1950, SIMENON vit alors aux Etats-Unis. Le livre est immédiatement attaqué pour les similitudes de traits entre Maugin et des acteurs alors connus, SIMENON s’en défend dans un avertissement de début d’ouvrage : « Maugin n’est ni Untel, ni Untel. Il est Maugin, tout simplement, avec des qualités et des défauts qui n’appartiennent qu’à lui et dont je suis le seul responsable ».
« Les volets verts » a été adapté en 2022 au cinéma. Le film de Jean BECKER, réalisateur pourtant habituellement fort talentueux, est en tous points raté. Jamais il ne reflète l’atmosphère du roman, au contraire il dépeint un Maugin presque sympathique, comme si BECKER avait voulu le réhabiliter et gommer la noirceur chez SIMENON.
(Warren Bismuth)
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