dimanche 25 juin 2023

George SAND « La ville noire »

 


Ce mois-ci les blogs Au milieu des livres et Mes pages versicolores nous invitent à choisir notre camp en un combat pacifique entre COLETTE et George SAND. De cette dernière, je comptais lire depuis quelque temps « La ville noire » pour des raisons que je vais évoquer ici bas. L’expérience fut assez éprouvante.

Pourquoi choisir précisément ce titre de George SAND ? Il ne figure pas parmi ses œuvres majeures et paraît même un texte quelque peu oublié de nos contemporains. Mais l’action se déroule dans la ville auvergnate de Thiers, pour laquelle, sans entrer dans les détails, j’ai de fortes racines faites de nostalgie et de grande souffrance. J’espérais retrouver dans ce récit quelques émotions du passé.

« La ville noire » dépeint une longue vallée industrielle encaissée, faite d’au moins 500 usines où triment environ 8000 ouvriers. C’est le quartier de la ville noire, cette ville basse, en contradiction avec la ville haute abritant les bourgeois. Ici, les prolétaires travaillent à la tâche, difficilement, pour gagner de quoi à peine nourrir leur famille. Parmi eux, Sept-Épées, jeune armurier de 24 ans, orphelin et ambitieux qui lorgne du côté de la ville haute pour son avenir.

Dans cette vallée vivent et travaillent armuriers, couteliers (Thiers est la capitale mondiale de la coutellerie) et serruriers, ils représentent les hommes du feu, les papetiers ceux de l’eau. Tout un gros quartier vit au rythme des usines, des malheurs et du bruit infernal, montant notamment du Trou d’enfer (appelé aussi Creux de l’enfer), cette cascade qui dégringole bruyamment dans un immense trou de rivière et sur laquelle une passerelle bringuebalante a été dressée. Sept-Épées aime Tonine, 18 ans, orpheline elle aussi et plieuse dans une papeterie. Il va devoir lui déclarer sa flamme.

Ne tournons pas autour du Trou d’enfer, ce roman n’est pas bon. Construit sur les bases d’une ville, on ne voit somme toute pas grand-chose de celle-ci, l’intrigue s’engluant dans des sentiments romantiques suintant la guimauve et les bons sentiments. Ce qui est plus grave, c’est le sort réservé aux ouvriers sous la plume de SAND, vus d’une manière sans doute inconsciemment condescendante, ils vont devenir curieux en tout (politique, arts, etc.) dès qu’ils auront un avenir assuré grâce à l’argent (quand on est pauvre, on est con, air bien connu). La romance indigeste au style creux est stoppée (croit-on) par un faits divers : la tentative de suicide d’un ouvrier que le jeune Sept-Épées va bien sûr sauver in extremis. Mais c’est pour mieux faire reparaître cette bien-pensance, comme s’il ne restait que cela à ces pauvres prolos.

Croyez bien que je n’écris pas ceci au hasard. George SAND, regardant pourtant les ouvriers avec intérêt (peut-être comme des bêtes de foire), se disait proche d’eux (ce qui ne coûte rien à une aristocrate loin des souffrances de ces derniers). Mais il leur fallait rester à leur place de pauvres, passifs et besogneux, invisibles, ne surtout pas se révolter contre le pouvoir en place (et aristocratique). Souvenons-nous comment SAND a traité la Commune de paris en 1871 (et bien après, comme une idée qu’on rabâche jusqu’à la nausée pour en faire une vérité). C’est-à-dire que le seul vrai moment où SAND aurait pu montrer son attachement aux « pauvres » qui s’affirment, les communards de 1871, elle les a ouvertement insultés et méprisés. Ce roman en est un autre document à charge. Elle ne parvient pas à se défaire de ses préjugés, caricaturant tant et plus ses petits bonhommes crasseux.

Là encore SAND rate son rendez-vous avec le prolétariat, alors que l’intention était tout autre. Peut-être trop marquée par sa propre classe sociale, elle ne peut se débarrasser de vieux réflexes nauséabonds. Quant à la ville, vous n’apprendrez rien sur elle, elle qui pourtant pourrait être le personnage central par sa structure très particulière et son Histoire forte, elle est rapidement oubliée au profit d’une intrigue cucul la praline qui ne décolle pas. Bref, je n’ai pas trouvé dans ce roman ce que j’étais venu y chercher, la figure de George SAND descendant un peu plus dans mon échelle des émotions, elle qui n’y figurait pourtant déjà pas précisément en place de choix. On oublie et on tourne la page. Ouf.

 (Warren Bismuth)



9 commentaires:

  1. Virginie Vertigo25 juin 2023 à 21:33

    Le livre de Sand que j’ai lu m’a également agacé pour le côté romantique (ce n’est vraiment pas ma came). Par contre, j’ai trouvé que politiquement elle était plus mesurée sans pour autant trancher. Mais j’ai lu une Sand du début donc ça a dû évoluer…

    RépondreSupprimer
  2. Un contrepoint intéressant à ma lecture de sa biographie, dans laquelle elle revendique régulièrement son attachement au peuple et à l'égalité entre tous les hommes...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Des Livres Rances26 juin 2023 à 12:49

      Oui, revendiquer n'est pas agir, et elle en est en quelque sorte l'égérie.

      Supprimer
  3. Ah mince ! J'ai failli relire La petite fadette et puis j'ai préféré Chéri de Colette.

    RépondreSupprimer
  4. Des Livres Rances30 juin 2023 à 23:45

    Mièvre, c'est le mot juste en effet ! Merci pour tes réactions !

    RépondreSupprimer
  5. Sand écrivant sur le prolétariat, fallait se douter que ça ne volerait pas bien haut :)

    RépondreSupprimer
  6. Merci pour cette honnête chronique ! Inutile de dire que je ne le lirai pas! Pour ce challenge, je voulais lire son titre Léia mais je l'ai lâchement abandonnée.

    RépondreSupprimer
  7. Bon, une déception pour un titre qui sonne faux. Belle chronique, une fois de plus. Merci pour ta fidélité à ce RDV Lolo !

    RépondreSupprimer
  8. Je ne connaissait pas ce titre de Sand et vu le sujet j'aurais vraiment pu avoir envie de le lire... mais c'était avant de te lire toi et donc, sans regret, je passe mon chemin...

    RépondreSupprimer