dimanche 11 juin 2023

Pierre BAYARD « Et si les Beatles n’étaient pas nés ? »

Attention spoiler alert ! Le titre de ce nouvel essai (2022) de Pierre BAYARD est une supercherie. Si vous vouliez tout savoir sur les Beatles et les raisons de leur renommée analysées au rayon X, vous voilà refaits ! En effet, seulement un chapitre et à peine 10 pages sont consacrés aux fameux Scarabées de Liverpool et à celui qui les fit découvrir au monde entier en octobre 1961 : Brian EPSTEIN. En revanche, si vous n’êtes pas rancuniers et que vous décidez d’aller au bout de ce documentaire, vous allez en apprendre de belles tout en vous amusant follement, comme souvent chez Pierre BAYARD.

BAYARD est l’un de ces types que la version rationnelle de l’Histoire ne satisfait pas, et qui cherche à comprendre par ses propres moyens. Alors il va fourrer son nez dans une écriture parallèle. Ainsi, dans cet essai comme toujours consacré en partie à la littérature, il va à nouveau déconstruire des pensées, des certitudes. Rien de mieux que de convoquer des œuvres célèbres pour alimenter et documenter son raisonnement.

L’auteur nous entretient sur l’éclipse historique, en gros (ne pas) être au bon endroit (pas) au bon moment. Il en va pour la plupart des exemples réunis dans cet essai. Il est question des destins de Camille CLAUDEL, de Ben JONSON, ami et rival de SHAKESPEARE, par ailleurs auteur de « Volpone et le renard », œuvre redécouverte des siècles après sa mort et qui fait aujourd’hui autorité dans le théâtre.

BAYARD imagine un monde « sans » : sans MARX par exemple (et c’est PROUDHON qui aurait vraisemblablement tiré les marrons du feu), sans FREUD et les personnalités multiples, sans KAFKA, sans PROUST (quasiment ignoré avant d’être adulé dans des circonstances que rappelle l’auteur), sans Simone de BEAUVOIR et tant d’autres. Ou un monde sans « Le docteur Jivago » de PASTERNAK car, une fois de plus, la réalité historique la plus tordue qui soit nous vient de Russie (d’U.R.S.S. pour être précis), pays ignorant parfaitement le roman fleuve de PASTERNAK à sa sortie (censure oblige), alors que ce sont les Etats-Unis qui seront à la manœuvre pour justement le faire connaître en Occident et ainsi décrédibiliser le régime soviétique.

Ecrit ainsi, cela peut paraître superficiel. Mon propos ne se risquera pas à entrer dans les détails, ceux concernant les biais cognitifs ou encore les univers parallèles, mais en résumant succinctement, on peut noter que BAYARD emprunte des figures ou des œuvres passées, les recontextualise et les imagine telles que leur écho aurait pu advenir ou non dans un autre monde, à une autre époque, sans les mêmes « concurrents » par exemple, sans les mêmes tenants ni les mêmes aboutissants. Sans vous en dévoiler plus, il faut lire le chapitre dédié à Louise LABÉ afin de bien comprendre la démarche de l’auteur : comment nous créons et modelons un mythe, ici littéraire.

Mais cet ouvrage est aussi celui d’un psychanalyste érudit qui se plaît à glisser des uchronies dans ses propos pour en montrer la force. Il emploie souvent le terme « paradigme » pour situer une œuvre ou une célébrité dans un espace défini du temps à un moment donné, puis la faire glisser ailleurs, sans oublier « l’influence rétrospective », passionnante, qui dépeint un événement servant à la compréhension du passé et non pas du futur.

L’éclipse prend une place non négligeable dans les réflexions de l’auteur, qui là aussi prend des modèles documentés, montrant que telle œuvre oubliée, est réapparue plus tard, en quelque sorte dans un autre monde, pour être prise en exemple sans pourtant avoir traité exactement des sujets énoncés ensuite par les spécialistes.

Méticuleusement, BAYARD déroule ses idées et en vient au cas spécifique du féminisme, où des femmes ont été oubliées de l’Histoire (souvent écrite par des hommes - dominants), puis ont fini par ressurgir grâce à une conjoncture plus favorable. Je n’en dévoilerai pas plus, et même si ce livre est parfois un peu ardu, il vaut le coup par son originalité, ses pieds de nez à l’Histoire et ses réhabilitations (ou ses condamnations, là aussi a posteriori), un essai qui nous rend curieux car délivrant de nombreuses références. Comme la plupart des ouvrages de l’auteur, il est sorti dans la prestigieuse collection paradoxe des éditions de Minuit.

http://www.leseditionsdeminuit.fr/

 (Warren Bismuth)

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