Ce texte frappant et moderne débute avec la
perte d’un proche après un accident. Puis le principal protagoniste de ce
roman-poésie se confie et retrace sa propre vie, faite de drames aussi. Déjà à
l’adolescence, ce corps qui se construit contre sa volonté, « Longues heures passées à se nier, pour
paraître ce que l’on n’est pas ». Car il faut agir comme le regard de
l’autre s’y attend et le souhaite, sous peine d’être catalogué, quasi
criminalisé dans une société bien-pensante.
L’histoire de toute une jeunesse est passée
en revue : les années 60 et 70, la période hippie avec l’amour libre comme
étendard. Mais quelque chose cloche pour lui, l’ostracisé. On le regarde
différemment, avec une certaine circonspection. Il n’entre pas assez dans les
cases d’une jeunesse n’en revendiquant pourtant aucune, il est intrigant, alors
certains essaient de voir ce qui peut bien se cacher dans les sous-vêtements.
Avec délicatesse, lucidité, originalité et
intelligence, Danielle BASSEZ aborde la question ô combien actuelle du genre,
avec sa voix toujours singulière et discordante, son style remarquable, à la
fois feutré et puissant. Son personnage est né « elle » et ne se sent
pas à l’aise dans ce rôle distribué. Il trouve refuge dans la littérature, la
poésie, se voit en voyou anticonformiste, y compris dans des jeux
sado-masochistes, pas tellement novateurs, dans des places bien trop définies
pour l’homme et la femme. Les cases, encore et toujours.
Il écrit pour exorciser le mal-être. Mais
voilà, d’après un spécialiste, son texte n’est « pas assez viril ». Il devrait être abordé autrement, plus
conformément à des règles données, car « On s’y perd, on ne sait plus qui est qui. Il faut choisir. Ou bien… Ou
bien… Il n’y a que deux voix possibles. Pas d’intermédiaire, pas de neutre. La
langue est un piège. Alors il fait comme les loups, les renards : il
ampute. Il censure. Il y a des choses dont on ne parle pas ». Car il
ne faudrait pas non plus venir chahuter la belle et académique langue française,
avec ses règles, ses interdictions, ses tabous.
La langue, justement, celle de Danielle
BASSEZ, est prenante, ensorcelante, elle est d’une redoutable précision,
aboutie. Ce livre est marquant : en un peu plus de 100 pages, il pose des
questions essentielles sur le genre, il bouscule, il dérange autant qu’il est
implacable, construit comme du roc. Paru en 2023 hors collection chez Cheyne
éditeur, il se doit d’être lu, tant pour la forme que sur le fond, il est l’un
de ces petits bijoux de l’année 2023 par son audace.
« Elle-même, ajoute-t-elle, ne se sent pas femme, pas homme non plus, elle se sent rien, ou tout. Tout autre chose. Animal. Ou ange. Cette forme-ci ce jour, et après, une autre. Au fond, c’est assez pratique. Elle a tous les points de vue à la fois. « Imagine, dit-elle, je suis sur le bord d’un puits. Si j’étais dedans, je serais enfermée et ne verrais que l’intérieur ; si j’étais dehors, je ne verrais que le paysage alentour, mais pas le dedans. Sur le bord, je vois de tous les côtés ». Autre que lui, différente jusque dans la différence ».
https://www.cheyne-editeur.com/
(Warren
Bismuth)
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