mercredi 15 novembre 2023

Eugène DABIT « La zone verte »

 


Ce roman de 1935 dédié à André GIDE commence comme un coup de sang : un chômeur de 43 ans, Leguen, ancien soldat de la première guerre mondiale, s’enfuit de Paris à pied, décidé à cueillir du muguet à Mantes, à plus de 40 kilomètres, afin de se faire un peu d’argent de poche. Le vent de liberté sonne enfin pour un homme déjà fatigué par la vie. Il traverse les bourgs de la banlieue, certains nouvellement construits, tout en profitant de ces instants privilégiés à flâner dans la campagne, y respirer l’air pur : « Marcher ainsi en pleine campagne l’aidait à se rappeler mieux son passé », lui qui avait été abandonné par une femme alors qu’il était sur le front.

Leguen s’arrête à Boismont pour quelque temps, il y fait connaissance avec ses habitants, leurs habitudes, amitiés, inimitiés et préjugés. C’est un monde différent de celui de la capitale qu’il découvre. Son cœur bat pour certaines femmes, il se lie d’amitié, entame de petits chantiers de peintre, sans savoir où il vient de mettre les pieds.

« La zone verte » est une description de la banlieue parisienne, encore peu traitée à l’époque. Il est un regard sociologique intéressant sur ces habitants, des hommes et des femmes dont les préjugés contre les parisiens sont nombreux. Cependant, le récit se mue bien vite en romance un brin dramatique, assez loin de la trame de départ et cette recherche de la liberté absolue, comme si DABIT, auteur par ailleurs prolifique même si en partie oublié de nos jours (il a pourtant écrit le roman « L’hôtel du nord » adapté à l’écran en 1938 par Marcel CARNÉ et qui deviendra une référence cinématographique), perdait le contrôle du scénario, comme s’il devenait privé de son histoire.

Si « La zone verte » est une jolie déambulation dans les rues et les campagnes de la banlieue parisienne, il est aussi un portrait peu chaleureux d’une petite ville, mais peut-être surtout le reflet d’amours déchues, porté par des scènes un peu rébarbatives sur l’amorce de l’amour entre deux êtres, cet aspect est un peu trop prégnant dans un livre qui aurait pu être grand roman sur le fond. D’ailleurs les 30 dernières pages sont sombres et bouleversantes, l’auteur a mitonné sa sortie, sa chute. En résumé, débuts fracassants, fin ciselée, mais entre les deux, comme un vide, pas total, mais les longueurs romantiques éclipsent le propos de départ, très alléchant, sur le rejet de la ville et le désir de nature. « Il redevenait un animal. Il arracha une touffe d’herbe, en mâchonna un brin. Il songea à Paris, sa ville natale, qui lui apparaissait en ce moment laide et monstrueuse, avec ses arbres malades, ses squares tristes, des bois de Boulogne et de Vincennes où des autos et des foires coloniales rappellent l‘homme. Une ville faite pour vous désespérer ».

Mais ce roman est également une description assez émouvante des fêtes de villages banlieusardes et des bagarres provoquées par des types trop ivres. Entre en piste la jalousie, thème très présent, mais aussi, et peut-être de manière plus originale, les premiers effrois sur l’odeur de guerre prochaine (« Guerre ou révolution on en fera les premiers frais »). Car l’on perçoit de l’engagement humaniste entre les lignes, faisant de ce roman une lecture tout de même intéressante, avec quelques pages d’une grande beauté.

Ce roman intimiste et sans prétention a été réédité en 2023 dans la toute nouvelle collection Paris perdu des éditions L’échappée, collection qui devrait faire la part belle au Paris des années 20 et 30. Ici c’est pourtant de la banlieue dont il est question. Cette collection pourrait être de celles qui deviennent des références par les choix de sélection d’une période donnée, sur un territoire imposé. Attendons la suite. Vous pouvez aller fureter du côté des prévisions sur le site de L’échappée.

https://www.lechappee.org/collections/paris-perdu

(Warren Bismuth)

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