mercredi 20 décembre 2023

Laurent CACHARD « Aurelia Kreit – Les jardins d’Ellington »

 


En 2019, Laurent CACHARD faisait paraître l’ample roman « Aurelia Kreit » chez Le Réalgar. Quatre ans plus tard, il lui offre une suite chez le même éditeur, même format. Nous retrouvons la famille Kreit et ses proches, cette fois-ci au cœur de la tourmente de la première guerre mondiale en France, tout d’abord du côté de Lyon, mais il y a beaucoup de mouvements dans cette fresque historique et familiale.

Ce récit dresse en parallèle le destin d’une famille ukrainienne et celui de l’Europe avec les enjeux et les combats de la première boucherie. Aurelia, 16 ans, y est ambulancière et, comme ses proches amies d’infirmeries, voit l’indicible. Mais ce qui se trame en fond, c’est un désir d’une autre vie pour ses compatriotes alors sous le joug de la Russie (l’actualité récente montre d’ailleurs que le monde tend à bégayer).

Attendez-vous à croiser des personnages à profusion, les fictifs comme les « vrais », ceux qui ont écrit l’Histoire, y ont participé. Le roman est une description lente, minutieuse et documentée de l’état de l’Europe au début du XXe siècle, les velléités de la Russie et les relations internationales, brûlantes, le tout mené par une écriture classique et précise. Le quotidien en marge du front pour ces ambulancières admirables est scruté, parsemé de détails et termes techniques sur leurs tâches. D’autres termes, militaires, viennent aussi s’inviter comme pour mieux comprendre par quoi les hommes sont massacrés et quelles en sont les séquelles à court ou long terme.

Comme d’autres, les ambulancières sont débordées, éreintées, des bâtiments sont réquisitionnés afin d’entasser des blessés, certains presque morts. D’ailleurs, la faucheuse semble rôder à chaque page. Et pour Aurelia, l’objectif est tout d’abord de retrouver son frère Igor, perdu quelque part dans un pays encore inconnu, la France. Mais c’est aussi et surtout pour cette famille la quête d’une identité, car c’est bien ce sujet qui domine l’intrigue. « Elle avait été tour à tour l’Ukrainienne, la Russe pour les Turcs, l’Autrichienne pour les Français et la Française pour les Allemands ». Recherche des racines, et pour Aurelia volonté de reconstitution du parcours familial, qu’elle méconnaît.

Après Lyon, l’action se déplace à Mulhouse dans une Alsace convoitée par deux pays frontaliers, enjeu de taille, un combat dans le combat. Et pour Aurelia un choix Cornélien s’impose : tuer son frère Igor pour se sauver elle-même, dans une allégorie de la terre qu’elle foule alors. Le texte revient sur les racines de la famille Kreit, notamment par l’ombre, fugace mais omniprésente, du poète ukrainien Taras CHEVTCHENKO. « Ça ne tenait à rien, une nationalité ». Il en est pourtant tout autre pour Aurelia.

Abondant en menus détails, ce roman est une fresque historique, ample dans le nombre de ses personnages et de leur histoire intime ou commune comme dans leurs déplacements. Il développe un plan de roman de guerre, faisant se côtoyer personnages ayant existé et participé « sur le terrain » à l’époque, et ceux, les héros purement fictifs, sortis de l’imagination de l’auteur, peut-être dans une volonté de réécrire TOLSTOÏ au XXIe siècle (les initiales de l’héroïne de Laurent CACHARD sont les mêmes que celles de Anna Karénine), même si le roman est avant tout français.

Quoi qu’il en soit, après être passé par Étretat, l’action se focalise sur La Courtine, un camp perdu au cœur de la Creuse, renfermant des soldats russes, rouges comme blancs, qui ne vont pas tarder à se mutiner. C’est peut-être l’événement le plus vibrant de cette épopée guerrière, son point culminant car il en est le ciment : des soldats russes combattant en France rattrapés par la politique contemporaine de leur pays à l’autre bout du continent. C’est juste après cet épisode que se clôt ce deuxième volume, en septembre 1917, alors que le destin de la Russie s’apprête à être bouleversé, quelques semaines plus tard, par LÉNINE et le parti bolchevique…

Le roman se referme sur un poème de février 1917 signé Sergeï IVANOV, après une longue aventure périlleuse toute en rebondissements et secrets familiaux et internationaux, intimes comme politiques. La grande histoire rejoint la petite, dans une perpétuelle quête de l’identité, une recherche des racines, familiales comme culturelles. Ce livre forme un diptyque avec son grand frère de 2019, mais ils peuvent toutefois être lus séparément. Il vient de paraître aux éditions Le Réalgar.

https://lerealgar-editions.fr/

(Warren Bismuth)

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