dimanche 11 février 2024

Joël VERNET « journal d’un contemplateur »

 


Fort de plus de 50 livres, Joël VERNET est une plume qui compte dans la poésie française contemporaine. Arpenteur infatigable des terres du monde entier, il n’a cassé d’écrire. Ce nouveau texte frappe par son style. De la poésie en prose qui largue les amarres pour une déambulation sensorielle. Cette lecture attise tous les sens, peut-être parce qu’elle tourne le dos à la cité, côtoie le monde rural.

Joël VERNET marche inlassablement, use les chemins, crée des ornières de réflexion, avive la force de la nostalgie, qu’il ne faut pas voir comme une fatalité ni une tare. L’auteur se fait complice avec un tilleul, se remémore son enfance silencieuse quelque part dans une montagne auvergnate, observant et écoutant la nature. Car c’est bien elle qui l’a sculpté, c’est grâce à elle qu’il a su « tenir ».

Ce texte est une ode aux arbres, aux ruisseaux, aux rivières, aux animaux sauvages. « Souvent, je revis dans les yeux des bêtes quand je lis ma silhouette simplement de passage sur leurs pupilles ouvertes. Quand je pénètre dans les sous-bois, protégé par les feuillages, qu’une faible lumière tombe des faîtes sur les lichens, sur les mousses, sur mon pas, qu’un bas murmure m’indique qu’ici la vie est loyale, sereine, simple. Parfois on ne voudrait plus jamais sortir de la forêt. Y demeurer, y vivre, être dans la belle respiration de chaque instant ». Car VERNET abandonne le monde, ponctuellement, pour rejoindre le sauvage.

Larguer les amarres, de manière plus prosaïque, c’est aussi aller tester les sensations, les émotions en mer, cette envie, ce besoin d’une île. Loin de tout, de l’homme et de ses croyances. Car Joël VERNET a depuis longtemps laissé Dieu de côté, comprenant l’engouement mais ne le partageant pas. C’est alors que les souvenirs du poète se réactivent en tous sens, évocations des nombreux vagabondages sur plusieurs continents. Car VERNET a voyagé, beaucoup, souvent et (presque) partout. « Qui vit ainsi dans un jardin s’est retiré des mornes combats, se vouant tout entier à la lumière profonde de chaque instant. Cette solitude est la sienne, bien plus proche d’une grâce que d’un renoncement ».

Images qui détonnent : « Les morts sont les oiseaux de l’avenir », tandis que l’auteur tisse le portrait d’une vieille dame qui n’est pas sans rappeler « La » Jeanne de Georges BRASSENS. Les vieilles dames, c’est le souvenir du patois, d’une langue, d’une culture, aujourd’hui disparue. Le souvenir c’est aussi celui des ancêtres, qu’ils ont transmis, le Mont-Mouchet, haut lieu de la Résistance française, où ils furent actifs. Et le poète marche, toujours. Sauf quand il lit : « J’ai noyé mes yeux dans la lecture. La lecture fut mon activité numéro un. Les fous de travail vous diront que c’est un passe-temps de paresseux. Je fus donc ce paresseux et continue de l’être ». Dernières images : un cimetière des îles Solovki où se dessine la silhouette de la Mère. Grand texte où chaque phrase, chaque vision est une rencontre, comme un don. Paru en 2023 aux éditions Fata Morgana, il met en éveil tant de sensations qu’il serait difficile de les résumer ici.

http://www.fatamorgana.fr/

(Warren Bismuth)

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