vendredi 3 mai 2024

Jean MECKERT « La marche au canon »

 


Par cette chronique se clôt la saison 4 du challenge mensuel « Les classiques c’est fantastique » piloté par les deux blogs Au milieu des livres et Mes pages versicolores que je n’ai pas fini de remercier pour leur implication, leur passion, leur convivialité. « Indignez-vous » est le mot d’ordre du dernier thème. Après vous avoir présenté un récit de vie de Jim TULLY et un roman de B. TRAVEN, je ne pouvais pas passer outre la littérature révoltée française. Ce sera avec Jean MECKERT, et un court roman coup de poing, présenté ici aujourd’hui précisément car il aurait pu, il aurait dû devenir un classique de la littérature engagée pacifiste. Mais sa publication fut toujours refusée… Jusqu’à 10 ans après la mort de l’auteur. Cette présentation aussi pour lui donner une deuxième vie, tellement la première fut empêchée. C’est en quelque sorte un texte post-mortem.

À l’instar d’un Victor HUGO pour le XIXe, Jean MECKERT (1910-1995) a traversé une bonne partie du XXe siècle. Personnage singulier, anarchiste pacifiste écrivant sous divers pseudonymes, dont celui de Jean AMILA avec lequel il publiera une grosse vingtaine de romans à partir de 1950. Il est par ce pseudo en quelque sorte le pionnier d’un style qui a fait son chemin depuis : le roman noir social et politique français, que ne tarderont pas à démocratiser des auteurs comme Jean-Patrick MANCHETTE, Jean-Claude IZZO, Frédéric FAJARDIE ou, plus près de nous, Didier DAENINCKX ou Patrick PÉCHEROT. Mais lorsqu’il signe de son vrai nom, MECKERT, tout en gardant l’aspect social et politique, ne dirige pas son scénario vers une enquête policière. Il narre, il observe, il dénonce la société dans laquelle il vit. Il est d’ailleurs étrange de constater qu’il est plus célèbre par son pseudo que par son nom véritable.

« La marche au canon » est un petit roman original par son style littéraire : phrases courtes, percutantes, acérées. Mais aussi une intrigue resserrée, tendue, et surtout cet argot, ce parler populaire. On se croirait échoués dans un film dialogué par Michel AUDIARD ou Henri JEANSON, avec par exemple ce « Nous autres, le tout-venant du biceps » désignant les jeunes soldats peu costauds.

Augustin Marcadet, 34 ans, plutôt pacifiste, est enrôlée dans l’arme française dès le déclenchement de la deuxième guerre mondiale, comme son « géniteur » MECKERT le fut. « En route, petit soldat, pour la marche au canon ! ». L’auteur nous fait suivre les péripéties de son humble héros durant la « drôle de guerre » du côté de la frontière allemande, jusqu’à l’armistice de juin 1940. Les mouvements de troupes sont nombreux, à l’intérieur de trains à bestiaux, plus rarement sur des vélos. MECKERT décrit : les beuveries dans les villages étape, la violence des officiers, les discussions entre hommes (sur les femmes notamment, qu’ils respectent peu). Et ce « on », martelé sans cesse, comme pour nous l’imprégner dans le ciboulot, ce « on » qui représente ces losers, ces soldats perdus qui ne comprennent pas pourquoi ils sont là, qui ne forment qu’un, dans le désespoir comme dans les bringues à tout casser.

Marcadet a les pensées qui voyagent, du côté de Paris notamment, « sa » ville, où l’attendent sa femme et sa fille. Ce petit bout de confort, ce cocon qu’il lui tarde de réintégrer. Les souvenirs d’abord épars se précisent, deviennent palpables, Marcadet rêve, espère, alors que les bombes pleuvent non loin de lui.

« On votait pour la paix, on payait pour la guerre ». Comme MECKERT, Marcadet est pacifiste, mais il préfère le taire, les temps sont dangereux pour les ennemis de la guerre. Alors il observe, il cherche à se trouver une quelconque utilité. En vain. Sur leur chemin, les soldats en croisent d’autres, mutilés, la plupart victimes de mines. MECKERT semble écoeuré par ce spectacle, aussi il préfère conter l’arrière, ou plutôt les bas-côtés. Une seule fois il s’immisce au sein du combat. Pas longtemps, juste le temps de ressentir une certaine nausée.

En effet, MECKERT tient à montrer, en peu de mots, l’absurdité de la guerre, pas dans un exercice philosophique, mais dans un sens humain, humaniste même. Alors il se contente de suggérer le front, se focalisant sur les moments « civils » de cette guerre, lorsque les troufions, les sans-grade, se retrouvent pour échanger, jouer au cartes et picoler, le tout agrémenté de séquences impressionnistes.

Ils ont beau réfléchir, ces braves soldats, ils ne comprennent pas la guerre. « C’était triste comme une agonie ». Alors pour faire semblant, ça fanfaronne, ça se vante, ça invente. Puis notre narrateur réalise qu’il se rapproche de la frontière suisse. Et si la liberté était au bout ?

« La marche au canon » fut écrit pendant ou juste après la deuxième guerre mondiale. Le texte, brut puis retouché, fut refusé à deux reprises en 1946 puis 1955. C’est ainsi qu’il reste inédit jusqu’à sa publication en 2005, 10 ans après la mort de l’auteur. Préfacé par Stéfanie DELESTRÉ et Hervé DELOUCHE, il est de ces petits textes que l’on peut ressortir avec confiance. Simple d’approche mais engagé et sincère, il n’a pas besoin de plus de mots pour que le message pacifiste passe. Il aurait pu devenir un texte majeur que l’on se transmet de main en main, comme témoignage d’une période, d’un idéal. Il n’en fut rien, et c’est injuste. MECKERT a obtenu son heure de gloire avant de tomber en partie dans l’oubli, il est pourtant l’un de ces écrivains de conviction, prolifique et moderne, qui a imposé un mode d’écriture.

« Mon nom est vérité. Et je n’ai rien à me reprocher ! ».

 (Warren Bismuth)





15 commentaires:

  1. Et quelle chronique une fois de plus passionnante pour clore cette saison 4 ! Tu es le participant qui propose toujours des titres classiques plus "confidentiels" et j'aime ces contributions qui attisent à chaque fois ma curiosité ! C'est un plaisir de te compter parmi nous ! MERCI !

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    1. Des Livres Rances3 mai 2024 à 23:36

      Merci à toi et Fanny pour votre gros boulot, votre enthousiasme communicatif !

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  2. Cette lecture m'avait marquée, notamment par son ton presque gouailleur, qui allié à son sens aigu de l'observation et la noirceur de son propos, rend le texte très frappant..

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    1. Des Livres Rances10 mai 2024 à 14:54

      Je poursuis peu à peu son œuvre et tout est du même acabit !

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    2. J'ai Les coups et Je suis un monstre sur mes étagères, et j'ai réalisé récemment que le premier rentre a priori dans le cadre de l'activité autour du monde du travail. Si une LC te tente, n'hésite pas à me faire signe !

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    3. Des Livres Rances12 mai 2024 à 07:14

      Je m'étais posé la même question concernant "Les coups" et, hasard du calendrier, je viens de le terminer et de rédiger une chronique, donc bien entendu partant pour une lecture commune !

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    4. Est-ce que cela t'irai pour début juillet (le 2 ou le 5 par exemple) ?

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    5. Oui choisis ! Je devais présenter un autre Meckert le 1er juillet mais je peux décaler la chronique !

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    6. On peut caler ça pour le 1er aussi, si cela t'arrange.

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    7. Des Livres Rances13 mai 2024 à 01:16

      Le 1er, un lundi, parfait pour moi, merci beaucoup !

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  3. Les extraits que tu as partagés sont très beaux!
    Je ne connaissais pas cet auteur (comme d'habitude avec tes choix) et je suis très intriguée par ce titre.

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    1. Des Livres Rances10 mai 2024 à 14:55

      Tu peux foncer en toute sécurité !

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  4. Un auteur dont je n'ai jamais entendu parler (la honte !).

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    1. Des Livres Rances14 mai 2024 à 10:29

      Nous sommes sans ce challenge pour découvrir, c'est là tout le sel.

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    2. Des Livres Rances15 mai 2024 à 14:17

      DANS ce challenge, bon sang !

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