mercredi 19 juin 2024

Raymond PENBLANC « Noces de givre »

 


Pour son dixième et nouveau roman, Raymond Penblanc met en scène une jeune fille d’à peine 16 ans, narratrice qui, après de nombreux tourments, a été recueillie par sa grand-mère, surnommée Mamé, cette grand-mère qui passe son temps à peindre des tableaux et initie de ce fait sa « descendance » à cet art, tandis qu’un garçon sauvage hante les pensées de sa petite-fille déjà marquée par l’épreuve : « je suis loin d’avoir tout exploré ce que Mamé appelle mon double obscur (ma mère) et destructeur (mon père) ».

Le jeune homme dont il est question plus haut ne va pas tarder à être attaché à la narratrice. Lui est réfugié dans une cabane, loin des éclats de la vie, des bruits et de la foule. Peu à peu il se dévoile. Lui non plus n’a pas eu un parcours de vie tranquille et, par petites touches, comme dans une peinture, il va conter son douloureux passé à la jeune fille. De son côté, subjuguée par les tableaux de Caravage, elle voit soudain le jeune homme dans un de ses travaux, et elle envisage de le faire incorporer au sein de « La vocation de Saint Matthieu » peint en 1600.

Dans un roman qui fait la part belle à la nature, à la faune sauvage et à l’onirisme, à l’évidence Raymond Penblanc s’amuse. Les dialogues sonnent populaires, empruntant au vieil argot comme à la gouaille de notre actuelle jeunesse. Hélas ils parviennent pas à convaincre et alourdissent le propos. Pourtant une certaine oralité s’en dégage. En grand amateur de peinture, l’auteur en profite pour analyser certains travaux de Caravage, tandis que ses deux héros s’enlacent dans des positions lascives teintées d’érotisme, il en est ainsi ponctuellement dans le récit. Quant au jeune homme, il semble fuir, mais qui ou quoi ? Ou peut-être se cache-t-il.

La narratrice apprend beaucoup de Mamé, personnage charnière du récit, elle l’admire même si elle avoue ne pas toujours la comprendre : « C’est comme si je la regardais plonger au fond d’un lac obscur sans que je puisse entreprendre quoi que ce soit pour la repêcher et la ramener au bord. En a-t-elle conscience ? A-t-elle conscience de me laisser sur la rive, a-t-elle conscience de m’interdire de voir ce qu’elle voit, me condamnant à devenir une orpheline du regard ? ».

Roman picaresque, facétieux, rural, où des chasseurs viennent perturber la belle alliance de nos deux tourtereaux, il n’est pas interdit d’y voir du Rabelais dépoussiéré et modernisé par de longues phrases à tiroir, alors que l’action nous entraîne dans un Prieuré où le jeune homme qui aura enfin une identité – que je vous laisse découvrir - se matérialisera peut-être en personnage de Caravage, prendra peut-être forme. En tout cas l’œuvre de ce dernier joue tout à coup le rôle de caisse de résonance à l’actualité, et de la manière la plus originale…

« Noces de givre » fourmille de détails d’arrière-plan, comme une toile. Raymond Penblanc a choisi de mettre indirectement en scène Caravage par le truchement de la fiction, faisant de ce roman une fresque au sens premier du terme. Caravage semble donc renaître sous la plume du géniteur de ce texte, qui entreprend là une sorte de résurrection, aidé en cela par la couverture du roman, peinte par une certaine Joce… Penblanc ! « Noces de givre » vient de sortir chez Le Réalgar et prend soudain un goût particulier lorsque l’on atteint la dernière page : une citation de John Burnside. Or tout juste une semaine avant la parution de « Noces de givre », John Burnside s’éteignait.

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(Warren Bismuth)

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