La grande honte que dénonce avec force l’autrice Alina Şerban est le sort réservé au peuple Rom durant 500 ans sur des terres qui deviendront la Roumanie. Les Roms furent asservis, utilisés, abusés, en bref esclaves de manière quasi officielle. Mais attention, Alina Şerban rejette le terme « esclave », lui préférant serf ou serviteur, elle s’en explique dans cette pièce historique.
Les Roms avaient le statut d’esclaves jusqu’en 1847 dans les principautés danubiennes (qui devinrent la Roumanie en 1918), n’avaient aucun droit, juste des devoirs, obéir, traités comme des bêtes, jusqu’à leur « libération ». C’est le personnage de Magda qui va exhumer l’Histoire humiliante de son peuple. Magda prépare un Master et a choisi le thème de la servitude des Roms. Ses proches lui demandent de n’en rien faire, déterrer le passé n’étant jamais bon, de plus le sujet est toujours tabou dans le monde roumain contemporain.
Les Roms (Magda répudie le terme « tsiganes » signifiant esclaves) sont encore aujourd’hui persécutés, montrés du doigt : « Quand tu te trompes, quand tu fais une gaffe, tu n’es pas le Roumain qui a fait une gaffe, tu es Daniel qui a fait une gaffe, alors que, pour nous, c’est tout le groupe : ‘Regarde-moi ces tsiganes’, et si je fais une erreur : ‘Regarde-moi cette sale gitane’ ». Préjugés historiques comme sociaux, le peuple Rom en est victime au quotidien.
La jeune autrice met en avant les responsabilités de l’Eglise qui a possédé une part fort importante des esclaves Roms. Elle fouille au fond de la mémoire collective, montrant un peuple divisé sur un sujet clivant et comme interdit. « J’aurais préféré… avoir la peau plus sombre. J’aurais voulu qu’on voie clairement que je suis rom. Pour ne pas avoir de choix à faire. J’ai pris l’habitude de me taire tout le temps ». Comme si être Rom signifiait être porteur d’une vilaine maladie contagieuse. Magda, comme sa créatrice, l’autrice Alina Şerban, est tiraillée entre ses origines et sa volonté d’intégration. Alina Şerban est Rom roumaine elle-même, c’est donc ici une sorte d’autofiction théâtrale qu’elle met en scène au propre comme au figuré.
Magda est en partie Alina et déroule l’Histoire de son peuple, insérant quelques dates cruciales dans une pièce documentée qui revient sur la fin de… l’esclavage ? La servitude ? Doit-on trancher en des termes de spécialistes ? La réponse est dans cette pièce traduite du roumain par Nicolas Cavaillès et préfacée par la journaliste Isabelle Wesselingh. Le livre vient de sortir aux éditions L’espace d’un Instant qui semblent entamer un cycle roumain (rappelez-vous le nécessaire « La nuit je rêverai de soleils » de Anca Bene, sur l’obligation faite aux femmes roumaines de produire des enfants sous la dictature de Nicolae Ceauşescu), d’autant que la prochaine parution sera encore celle d’une autrice roumaine.
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(Warren Bismuth)
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