Pamoja est un mot swahili signifiant « Ensemble », ce qui aura son importance dans ce nouveau roman de Jérôme Lafargue puisqu’il va nous faire voyager quelque part où la langue Swahili est pratiquée, en Afrique de l’est plus précisément.
Anton, 14 ans, et son chien-loup Windy recueillent une jeune réfugiée noire de 8 ans, Nila, qui vient de s’échapper d’un mystérieux convoi. Anton va frapper à la porte de Gustavo, noir lui aussi, un vieil homme de 74 ans au parcours lourd autant que riche. Ce dernier n’hésite pas à les prendre immédiatement en charge, direction la montagne, pour les planquer.
Ils ont rendez-vous avec Maïtena, officiellement courtière en immobilier, mais plutôt guide clandestine à ses heures perdues. Tout ce petit monde est bientôt traqué par un individu louche qui pourrait bien vouloir récupérer Nila à des fins spéculatives, à moins qu’il soit là pour autre chose ?
Dans ce roman sensible, Gustavo se revoit à l’âge de Anton, alors qu’il était chef de rebelles au Mozambique durant la guerre d’indépendance qui éclata en 1964, une guerre civile anticoloniale dans une région où la Françafrique a joué un grand rôle. Pour Gustavo, c’est aussi le souvenir de sa fiancée, Themba, victime de cette guerre, alors que d’autres souvenirs atroces hantent sa mémoire. Certaines scènes peuvent sur ce point être difficiles à lire par leurs images crues.
Mais revenons au présent. L’homme qui les suivait semble avoir disparu, semé peut-être. La petite troupe en profite pour rejoindre un hameau perdu vivant en autosuffisance. Là y est Alberto, une vieille connaissance de Gustavo, même âge, spécialiste en renseignement militaire, il a jadis sauvé la vie de Gustavo. Aujourd’hui il a un grand service à lui demander…
« Peu avant la tombée du jour, ils parvinrent en vue du hameau. Trois rues dépeuplées et silencieuses. Les volets des maisons en pierre étaient soient fermés, soient manquants. Au premier étage de l’une des baraques, une couette avait été jetée sur un garde-corps. Détrempée par les pluies et battue par le vent, des traces noirâtres d’humidité la martyrisaient, comme des trous d’obus dans un champ enneigé ». Car on en revient souvent aux souvenirs de guerre.
Jérôme Lafargue navigue entre passé insurrectionnel et présent incertain où pointe le transhumanisme, dépeignant quelques événements de la guerre d’indépendance du Mozambique par le prisme de Gustavo, les technologies dangereuses et redoutables actuelles par celui de Alberto. Anton est ce jeune garçon plein d’espoir qui s’est donné une mission : celle de sauver Nila à tout prix des griffes de ses bourreaux. Jérôme Lafargue excelle dans la description de la nature, des oiseaux, des arbres, des torrents, une arme qui permet de décompresser, de souffler malgré la tension du roman. Dans une écriture simple autant que précise et fluide, il déroule ses séquences une à une, dévoilant au compte-gouttes des secrets enfouis de chacun des protagonistes.
« Pamoja ! » joue avec les espaces temps, entre passé révolutionnaire et futur (présent ?) libertarien où quelques bonhommes richissimes semblent vouloir faire ce qu’ils veulent de la planète sans aucun garde-fou. La silhouette de Elon Musk apparaît d’ailleurs, brièvement. Le texte est traversé par différents climats : le conte par les descriptions de la nature ou quelques scénettes entre Anton et Nila, le roman historique pour les épisodes de la guerre d’indépendance du Mozambique, le roman futuriste pour les inventions glaçantes et destructrices en passe d’être réalisées. Il est aussi roman filial avec les portraits de Gustavo et Alberto, deux durs à cuire qui ont un héritage à transmettre. Maïtena est la plus impénétrable, veut-elle le bien ou travaille-t-elle pour le mal ? Enfin, la conclusion du roman le rend tout à fait dystopique.
« Pamoja ! » vient de sortir chez Quidam éditeur, la richesse de tons qu’il propose pourrait fort trouver son lectorat.
https://www.quidamediteur.com/
(Warren Bismuth)
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