dimanche 15 juin 2025

Anna MILANI « Cantique du lac »

 


Ce cantique est une célébration non religieuse, celle d’un lac au pied de montagnes du nord de l’Italie. Et une célébration de souvenirs de jeunesse. Près de ce lac justement, avec la chambre de la narratrice encore enfant qui donne directement sur l’étendue majestueuse, témoin de tant d’événements où « La nuit se peuplait de dictatures ».

 

Ce lac, c’est l’élément essentiel et apaisant, le chasseur de stress comme l’ange gardien. Les jeunes d’alors n’ont pas le même contact avec lui que leurs aïeuls qui, eux ne savaient pas nager et ne pouvaient donc pénétrer ses entrailles. La narratrice se souvient : les journées de pêche avec son père sur une barque, ce lac brumeux une bonne partie de l’année, et puis son existence même, sa forme de femme allongée, ses légendes transmises, tout ce qui peut attiser l’imagination d’une jeunesse en quête d’histoires neuves ou recyclées. « Cantique du lac » est un récit d’initiation devant la beauté de la nature éternelle.

 

L’incommensurable est là, scintillant et toujours en mouvement, entouré de grottes calcaires qui laissent elles aussi planer bien des légendes. Et il ne faut pas minimiser la vie sous l’eau, tout comme il ne faut pas sous-estimer la puissance, la force et les colères du lac. En effet, il a déjà débordé, les habitants s’en souviennent encore, il s’est fâché. Alors forcément il est respecté.

 

Il est enfin un carrefour, celui des cours d’eau se rassemblant en lui. Anna Milani déploie un grand talent pour nous guider en un bref récit lumineux vers ce lac et ne jamais nous en éloigner des rives. Poésie olfactive, émotionnelle, quasi onirique, elle a pourtant les deux pieds bien arrimés sur terre. Son lac est un peu son Dieu païen, d’où ce cantique. Elle le voit comme un retour de nostalgie mais aussi un lieu de retrouvailles ressuscitant le passé, il est un peu le phare de cette région italienne.

 

J’ai eu la chance de rencontrer l’autrice résidant en France depuis de nombreuses années et de partager un dîner avec elle dans le cadre de la Semaine de la Poésie 2025. Elle m’a fait grande impression par sa modestie, son calme, son altruisme et sa bienveillance, qui se ressentent dans sa poésie en prose subtile et délicate. « Cantique du lac », paru chez Cheyne en cette année 2025 est son troisième ouvrage après « Incantations pour nous toutes » (Isabelle Sauvage 2021) et « Géographies de steppes et de lisières » (Cheyne 2022). Il est paru dans la prestigieuse collection Grands Fonds de Cheyne en 2025, il est à lire sous le soleil avec une boisson froide à portée de main. Quant au lac évoqué, munissez-vous d’une carte et vous aurez peut-être la chance de découvrir son nom et son emplacement exact. Un indice : il est niché quelques part dans une vallée du Piémont.

 

« On fabriquait des radeaux pour porter notre lot de naufrages à son terme. Le courant nous amenait sur des rives impraticables, où le héron cendré faisait son nid. On sombrait dans la substance du rêve. / Le matin, dans la brume, des figures effilochées sortaient du lac, elles marchaient jusqu’à nos lèvres, elles empruntaient nos voix rocailleuses pour nous rappeler de naître ».

https://www.cheyne-editeur.com/

(Warren Bismuth)

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