Ce cantique est une célébration non
religieuse, celle d’un lac au pied de montagnes du nord de l’Italie. Et une
célébration de souvenirs de jeunesse. Près de ce lac justement, avec la chambre
de la narratrice encore enfant qui donne directement sur l’étendue majestueuse,
témoin de tant d’événements où « La
nuit se peuplait de dictatures ».
Ce lac, c’est l’élément essentiel et
apaisant, le chasseur de stress comme l’ange gardien. Les jeunes d’alors n’ont
pas le même contact avec lui que leurs aïeuls qui, eux ne savaient pas nager et
ne pouvaient donc pénétrer ses entrailles. La narratrice se souvient : les
journées de pêche avec son père sur une barque, ce lac brumeux une bonne partie
de l’année, et puis son existence même, sa forme de femme allongée, ses
légendes transmises, tout ce qui peut attiser l’imagination d’une jeunesse en
quête d’histoires neuves ou recyclées. « Cantique du lac » est un
récit d’initiation devant la beauté de la nature éternelle.
L’incommensurable est là, scintillant et
toujours en mouvement, entouré de grottes calcaires qui laissent elles aussi
planer bien des légendes. Et il ne faut pas minimiser la vie sous l’eau, tout
comme il ne faut pas sous-estimer la puissance, la force et les colères du lac.
En effet, il a déjà débordé, les habitants s’en souviennent encore, il s’est
fâché. Alors forcément il est respecté.
Il est enfin un carrefour, celui des cours
d’eau se rassemblant en lui. Anna Milani déploie un grand talent pour nous
guider en un bref récit lumineux vers ce lac et ne jamais nous en éloigner des
rives. Poésie olfactive, émotionnelle, quasi onirique, elle a pourtant les deux
pieds bien arrimés sur terre. Son lac est un peu son Dieu païen, d’où ce
cantique. Elle le voit comme un retour de nostalgie mais aussi un lieu de
retrouvailles ressuscitant le passé, il est un peu le phare de cette région
italienne.
J’ai eu la chance de rencontrer l’autrice
résidant en France depuis de nombreuses années et de partager un dîner avec
elle dans le cadre de la Semaine de la Poésie 2025. Elle m’a fait grande
impression par sa modestie, son calme, son altruisme et sa bienveillance, qui
se ressentent dans sa poésie en prose subtile et délicate. « Cantique du
lac », paru chez Cheyne en cette année 2025 est son troisième ouvrage
après « Incantations pour nous toutes » (Isabelle Sauvage 2021) et
« Géographies de steppes et de lisières » (Cheyne 2022). Il est paru
dans la prestigieuse collection Grands Fonds de Cheyne en 2025, il est à lire
sous le soleil avec une boisson froide à portée de main. Quant au lac évoqué,
munissez-vous d’une carte et vous aurez peut-être la chance de découvrir son
nom et son emplacement exact. Un indice : il est niché quelques part dans
une vallée du Piémont.
« On fabriquait des radeaux pour porter notre lot de naufrages à son terme. Le courant nous amenait sur des rives impraticables, où le héron cendré faisait son nid. On sombrait dans la substance du rêve. / Le matin, dans la brume, des figures effilochées sortaient du lac, elles marchaient jusqu’à nos lèvres, elles empruntaient nos voix rocailleuses pour nous rappeler de naître ».
https://www.cheyne-editeur.com/
(Warren
Bismuth)
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