lundi 13 novembre 2017

Jean-Paul CHABROL « Anduze dimanche 23 novembre 1692, la foi, le sang et l’oubli »


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Ce 23 novembre 1692 au cœur des Cévennes dans la petite ville d’Anduze, un crime a lieu, celui d’un bourgeois « Nouveau Converti » (les N.C. ou nouveaux convertis étaient les anciens huguenots convertis à la religion catholique), Antoine LAMBERT, consul. Alors qu’il lui avait été signifié que des protestants s’étaient réunis dans une maison d’Anduze, il se rend sur place. C’est alors qu’il reçoit plusieurs coups de couteau d’un dénommé Antoine GAVANON, dit La Vérune, paysan et prédicant (donc protestant). Ce dernier parvient à s’enfuir malgré avoir été blessé par une pierre lancée par le propre fils de LAMBERT qui ignore pourtant tout de l’agression. S’ensuit une enquête sans l’accusé, disparu, un notable mort et une ville en émoi. Dans ce XVIIème siècle, Anduze est un important diocèse de la région. Depuis la révocation de l’édit de Nantes de 1685 interdisant le culte protestant, la ville est en ébullition, les attaques, violences sur personnes sont nombreuses. Beaucoup de protestants se sont officiellement convertis (les fameux N.C.) mais continuent d’avoir un cœur huguenot. LAMBERT, quant à lui, a clairement choisi le camp catholique et pourchasse sans faillir les protestants, ses anciens « amis ». L’Église réformée est victime d’intimidations perpétuelles et se défend sur le terrain. La révolte gronde, et ce fait divers prend une ampleur considérable, d’autant que l’assaillant et meurtrier La Vérune a pu s’enfuir au nez et à la barbe de la population pourtant en partie présente dans les rues, une quarantaine de témoignages en font foi. Cependant, la plupart de ses témoignages se sont évaporés (comme La Vérune), épaississant un peu plus le mystère de cette journée du 23 novembre. La Vérune a-t-il eu des complices ? La population huguenote a-t-elle simplement décidé de se taire pour ne pas accabler un allié ? L’enquête minutieuse de Jean-Paul CHABROL est captivante à plus d’un titre. Non seulement il réalise un travail d’investigation brillant, travail de fourmi où il amoncelle tout détail ayant trait à l’affaire, mais sa verve toute journalistique tient en haleine le lecteur médusé. CHABROL expose les faits, les témoignages glanés, plante un décor plein de suspense qui donne un poids supplémentaire à ce fait divers. Il reprend certains écrits de l’époque, où l’on réalise que la langue française était d’une palpable lourdeur en ce siècle ancien. Un exemple pour imager mes propos, une citation du rapport judiciaire « (…) Nous avons trouvé trois petites plaies sur la main gauche, lesquelles nous croyons avoir été faites avec beaucoup de violence par un instrument aigu et tranchant comme couteau ou baïonnette et lui avoir causé la mort sur le champ pour avoir entièrement coupé la veine forte (la veine porte rectifie l’auteur) et autres vaisseaux considérables, comme il nous parut par la grande quantité de sang extravasé dont le bas-ventre s’est trouvé rempli. Et parce que cela contient vérité, nous avons fait et signé le présent rapport ». Au vu de cet exemple, la réforme de l’orthographe a parfois été d’une grande aide à la compréhension afin de rendre la langue plus fluide pour les générations futures. À ceci nous pouvons ajouter l’illettrisme d’une bonne partie de la population (forcé ? Feint ? Par peur ? À des fins de protection ?), ainsi qu’une langue française méconnue (ici la plupart des citoyens ignorent le français et parlent en occitan), ce qui ne fait qu’embrouiller un peu plus cette affaire déjà peu claire. Les témoignages largement ultérieurs du meurtrier (30 ans après les faits), La Vérune, viennent colorer un peu plus ce petit bouquin : en effet La Vérune est un personnage picaresque qui s’exprime à la troisième personne pour parler de lui. Dans ce documentaire qui peut presque être lu comme un roman à la fois policier et d’aventures par son rythme haletant, sont exposés la situation politique et religieuse en Cévennes, les meurs et coutumes, les superstitions, mais aussi le décor architectural, et bien sûr les rites religieux. Jean-Paul CHABROL, en spécialiste des Cévennes du XVIIème siècle, nous fait partager sa passion sans emphase, de manière simple et facilement compréhensible jusqu’au dénouement inattendu sur la condamnation finale. Est inséré un solide index des noms, activité et religion pratiquée des personnes croisées tout au long de ces pages. Ce petit bouquin inclassable est un vrai sucre d’orge, apaiserait presque, alors que les faits énoncés sont d’une violence sans nom. En parlant de violence, les combats meurtriers entre catholiques et protestants continueront pendant des années, jusqu’à accoucher de la révolte des Camisards en 1702, mais ceci est une autre histoire, une autre partie de l’Histoire. Bouquin sorti en 2011 chez les excellentes éditions ALCIDE, présentées déjà à plusieurs reprises dans ce blog (notamment un autre livre de CHABROL), une façon ludique, j’allais écrire amusante, de nous replonger au cœur de cette fin de XVIIème siècle cévenol. Une maison d’édition à soutenir, travail impeccable, présentation comme contenu.


(Warren Bismuth)

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