Ce 23 novembre 1692 au cœur des Cévennes dans la petite ville
d’Anduze, un crime a lieu, celui d’un bourgeois « Nouveau Converti »
(les N.C. ou nouveaux convertis étaient les anciens huguenots convertis à la
religion catholique), Antoine LAMBERT, consul. Alors qu’il lui avait été
signifié que des protestants s’étaient réunis dans une maison d’Anduze, il se
rend sur place. C’est alors qu’il reçoit plusieurs coups de couteau d’un
dénommé Antoine GAVANON, dit La Vérune, paysan et prédicant (donc protestant).
Ce dernier parvient à s’enfuir malgré avoir été blessé par une pierre lancée
par le propre fils de LAMBERT qui ignore pourtant tout de l’agression. S’ensuit
une enquête sans l’accusé, disparu, un notable mort et une ville en émoi. Dans
ce XVIIème siècle, Anduze est un important diocèse de la région. Depuis la
révocation de l’édit de Nantes de 1685 interdisant le culte protestant, la
ville est en ébullition, les attaques, violences sur personnes sont nombreuses.
Beaucoup de protestants se sont officiellement convertis (les fameux N.C.) mais
continuent d’avoir un cœur huguenot. LAMBERT, quant à lui, a clairement choisi
le camp catholique et pourchasse sans faillir les protestants, ses anciens
« amis ». L’Église réformée est victime d’intimidations perpétuelles
et se défend sur le terrain. La révolte gronde, et ce fait divers prend une
ampleur considérable, d’autant que l’assaillant et meurtrier La Vérune a pu
s’enfuir au nez et à la barbe de la population pourtant en partie présente dans
les rues, une quarantaine de témoignages en font foi. Cependant, la plupart de
ses témoignages se sont évaporés (comme La Vérune), épaississant un peu plus le
mystère de cette journée du 23 novembre. La Vérune a-t-il eu des
complices ? La population huguenote a-t-elle simplement décidé de se taire
pour ne pas accabler un allié ? L’enquête minutieuse de Jean-Paul CHABROL
est captivante à plus d’un titre. Non seulement il réalise un travail d’investigation
brillant, travail de fourmi où il amoncelle tout détail ayant trait à l’affaire,
mais sa verve toute journalistique tient en haleine le lecteur médusé. CHABROL
expose les faits, les témoignages glanés, plante un décor plein de suspense qui
donne un poids supplémentaire à ce fait divers. Il reprend certains écrits de
l’époque, où l’on réalise que la langue française était d’une palpable lourdeur
en ce siècle ancien. Un exemple pour imager mes propos, une citation du rapport
judiciaire « (…) Nous avons trouvé
trois petites plaies sur la main gauche, lesquelles nous croyons avoir été
faites avec beaucoup de violence par un instrument aigu et tranchant comme
couteau ou baïonnette et lui avoir causé la mort sur le champ pour avoir
entièrement coupé la veine forte (la veine porte rectifie l’auteur) et autres
vaisseaux considérables, comme il nous parut par la grande quantité de sang
extravasé dont le bas-ventre s’est trouvé rempli. Et parce que cela contient
vérité, nous avons fait et signé le présent rapport ». Au vu de cet
exemple, la réforme de l’orthographe a parfois été d’une grande aide à la
compréhension afin de rendre la langue plus fluide pour les générations futures.
À ceci nous pouvons ajouter l’illettrisme d’une bonne partie de la population
(forcé ? Feint ? Par peur ? À des fins de protection ?),
ainsi qu’une langue française méconnue (ici la plupart des citoyens ignorent le
français et parlent en occitan), ce qui ne fait qu’embrouiller un peu plus
cette affaire déjà peu claire. Les témoignages largement ultérieurs du
meurtrier (30 ans après les faits), La Vérune, viennent colorer un peu plus ce
petit bouquin : en effet La Vérune est un personnage picaresque qui
s’exprime à la troisième personne pour parler de lui. Dans ce documentaire qui
peut presque être lu comme un roman à la fois policier et d’aventures par son
rythme haletant, sont exposés la situation politique et religieuse en Cévennes,
les meurs et coutumes, les superstitions, mais aussi le décor architectural, et
bien sûr les rites religieux. Jean-Paul CHABROL, en spécialiste des Cévennes du
XVIIème siècle, nous fait partager sa passion sans emphase, de manière simple
et facilement compréhensible jusqu’au dénouement inattendu sur la condamnation
finale. Est inséré un solide index des noms, activité et religion pratiquée des
personnes croisées tout au long de ces pages. Ce petit bouquin inclassable est
un vrai sucre d’orge, apaiserait presque, alors que les faits énoncés sont
d’une violence sans nom. En parlant de violence, les combats meurtriers entre
catholiques et protestants continueront pendant des années, jusqu’à accoucher
de la révolte des Camisards en 1702, mais ceci est une autre histoire, une
autre partie de l’Histoire. Bouquin sorti en 2011 chez les excellentes éditions
ALCIDE, présentées déjà à plusieurs reprises dans ce blog (notamment un autre
livre de CHABROL), une façon ludique, j’allais écrire amusante, de nous
replonger au cœur de cette fin de XVIIème siècle cévenol. Une maison d’édition
à soutenir, travail impeccable, présentation comme contenu.
(Warren Bismuth)
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