vendredi 20 avril 2018

Samuel BECKETT « Premier amour »


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Micro roman ? Longue nouvelle ? Peut-être en fait ni l'un ni l'autre. Mais peut-être seulement. BECKETT navigue souvent entre différents formats, différents styles. Ici un homme (le narrateur, un vagabond ?) dont le père vient de mourir se balade dans un cimetière, errant. Diverses idées lui parcourent l'esprit. Est-il soulagé voire heureux de la mort du père ?

Le narrateur est solitaire, il aime se retrouver avec lui-même, ou tout du moins avoir du temps pour se chercher lui-même. Il aime les cimetières car semble préférer les morts aux vivants. Mais sur un banc public il croise une prostituée, et à l'issue de quelques rencontres, elle l'invite chez elle, lui demande de s'y installer puis le dorlote sans ménagement. Un jour, elle lui apprend qu'elle est enceinte de lui. Incompréhension et déni du narrateur.

On n'entre pas dans BECKETT comme dans un confessionnal, l'écriture est à la fois exigeante et comme hors contrôle, effrayante de noirceur et déstabilisante de burlesque, de grotesque. Un personnage bien nulle part sur terre, qui cherche un espace de liberté, en vain. Trop de questionnements viennent tout bousculer, tout le temps, sans répit. Et c'est l'amour rencontré qui condamne cet être voué à une parfaite solitude. Monologue désenchanté aussi bien qu'absurde, un fil ténu qui ne nous permet jamais de savoir de quel côté l'histoire va tomber.

Tout déroute dans ce récit, notamment le fait que ce « Premier amour », s’il est emprunté à un titre de roman du russe TOURGUENIEV, est également la première œuvre écrite par BECKETT (Irlandais) en français, en 1946 (mais publié en 1970), et l'on remarque déjà la virtuosité pour la langue. BECKETT parvient presque à rendre sympathique un misanthrope de la moins tendre engeance. C'est un monde à part, kafkaïen en plus cubique, froid, imbougeable, inébranlable, le genre d'ambiance qui nous donne envie de nous taper la tête contre des murs en tôle ondulée tout en ricanant. Il y a du malsain dans cet absurde, 60 pages denses qu'on ne lit pas à toute allure. Ambiance unique d'une rare originalité, on s'arrête, on réfléchit, on y retourne. Apnée peut-être porteuse de séquelles irréversibles. BECKETT est encore aujourd'hui l'une des figures majeures des Éditions de Minuit bien qu'il soit décédé en 1989.


(Warren Bismuth)

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