Dès la première ligne nous sentons que
nous allons patiemment avaler un roman fort : « Le conflit engendre le commerce. Le leur fut la guerre de sécession ».
Une scierie gigantesque en Virginie Occidentale, Etats-Unis, 1904, sur un lieu
découvert en 1861, juste avant la guerre de sécession. 4000 salariés et des
conditions de travail effroyables, dangereuses, des patrons sans foi ni loi,
tout est réuni pour que les ouvriers organisent une grève dure et ruineuse pour
la compagnie. Pour se faire, un syndicat clandestin est monté.
Parmi les meneurs syndicalistes, Vane le
père d’Amos, lui-même ouvrier ayant incendié sa maison et qui aimerait
parachever son œuvre en tuant Randolph, un juge. Parmi les proches d’Amos on
retrouve Cur, celui que l’on va suivre tout au long de ce roman fresque. Cur
est empli de belles idées avec ce côté idéaliste, parlant à tout le monde, même aux ennemis de classe.
On ne va pas tarder à croiser d’autres
figures pittoresques comme ce pasteur azimuté, Seldomridge, cherchant
désespérément la rédemption, ou encore un colporteur syrien légèrement secoué,
une ancienne pute pas bien finie, un flic décalé, et bien sûr des leaders
syndicaux tentant de faire naître une révolte.
En toile de fond la nature, la forêt
dévastée pour faire tourner la scierie toujours plus monstrueuse, des hectares
et des hectares sacrifiés, à grands renforts de destruction d’arbres séculaires,
certains salariés commencent à voir d’un sale œil ce massacre systématique sans
que rien ne soit replanté pour donner naissance plus tard à d’autres arbres.
Sans compter les conditions de travail de plus en plus hasardeuses, les morts,
les blessés par manque de sécurité, pour le rendement d’une entreprise
capitaliste. « Le miel du lion » c’est tout ça.
Il a été comparé à « La jungle »
d’Upton SINCLAIR, il est définitivement moins sombre, moins désenchanté
(quoique certains passages le sont férocement), même si lui aussi parle du
quotidien épouvantable d’ouvriers en 1904 aux U.S.A. Le mélange politique,
social, environnemental est parfaitement dosé, l’auteur n’en fait pas trop, il
est excellemment documenté, rendant son récit très crédible nous réservant de
superbes situations. Les croyances de la société d’alors sont reprises, le
poids de la religion montré avec parcimonie.
L’auteur fait revivre ces syndicats
balbutiants du début du siècle dernier aux States, avec pourtant déjà leurs « taupes »
payées par la compagnie, la grève impossible à cause de la météo désastreuse,
les coups de grisou laissant sur le carreau des centaines de mineurs, les tempêtes,
de neige, de vent, de pluie, charmante contrée que cette Helena, la petite
ville dans laquelle il est possible de s’encanailler, on y trouve tous les
vices, les putes, l’alcool, le jeu, la baston se déclenche en moins de deux.
Bref on oublie notre misérable vie à chercher à faire croûter la famille, en
attendant l’ultime fatigue avec
une pensée pour leurs camarades mineurs enterrés vivants : « Que
sont des mines de charbons, sinon des sépultures vivantes ? ».
Ce roman montre un certain échec de la
lutte des classes parce qu’on n’a pas osé, parce qu’on n’a pas su. L’ambiance
générale peut être apparentée à la superbe série « Deadwood » (les
dialogues peuvent aussi y être crus), avec sa ville sortie de rien, de nulle
part, sans règles, sans discipline, pour débaucher le travailleur éreinté et
lui aspirer son pognon difficilement gagné. Ouais, ce sont les personnages de
STEINBECK et DOS PASSOS échoués à Deadwood qui vivent les derniers assauts de « l’ancien
monde », le nouveau et XXe siècle débarque et va rapidement occire le
XIXe.
Roman varié, très prenant, l’écriture y
est superbe, les 420 pages ne se répètent pas, il est ambitieux et maîtrisé,
alors que ce n’est que le premier roman de l’auteur, à suivre de très près
donc. Sorti en 2018 dans l’excellente collection Terres d’Amérique de chez
Albin Michel, ce « Miel du lion » est en tous points délectable.
(Warren
Bismuth)
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