vendredi 28 septembre 2018

Arno BERTINA « Des lions comme des danseuses »


Dans ce très court texte, Arno BERTINA imagine le monde de la Culture seulement quelques mois après qu’il l’ait écrit, en 2014. Entre 2016 et 2019, les évènements se précipitent : le Cameroun demande à la France la restitution des œuvres camerounaises exposées au musée du Quai Branly à Paris, arguant que ces oeuvres appartiennent au patrimoine africain et non européen. Devant le refus embarrassé (voir plus loin), réclamation pour la gratuité de l’entrée de ces mêmes musées pour les ressortissants camerounais qui ne devraient pas avoir à payer pour contempler des œuvres façonnées par leurs propres aïeuls, appartenant à leur culture. Le Cameroun va jusqu’à solliciter la gratuité des visas pour les camerounais se rendant en France dans le but de voir les œuvres exposées.

Enclenchement soudain d’un effet boule de neige, puisque de nombreux pays, surfant sur l’intérêt suscité par le sujet, réclament les mêmes droits. Pour en revenir à la France, elle est gênée aux entournures par les requêtes du Cameroun, puisque les œuvres affichées ont soit été pillées, soit échangées, soit payées illégalement, le plus souvent durant la période coloniale. Nouvelle doléance du Cameroun : il souhaite que les œuvres européennes puissent être exposées dans les musées africains pour que leurs habitants en profitent aussi. Les tractations s’annoncent ardues.

Un texte bien plus ingénieux qu’il n’y paraît au premier coup d’œil. Derrière le ton détaché, comme neutre, serti d’un humour féroce, distancié là aussi, c’est bien la Françafrique qui ressurgit, la colonisation qui refait les gros titres, la généalogie qui est scrutée (l’humain a su se mélanger et c’est tant mieux, comment peut-on aujourd’hui bâtir des frontières culturelles alors que les œuvres voyagent et s’exposent partout dans le globe ?). BERTINA tient un discours par l’absurde pour retomber avec maestria sur ses pattes et nous mettre le nez dans notre crotte : certaines œuvres majeures, véritables figures de proue de musées, ne pourraient-elles pas être réclamées par les pays d’origine, qui eux ne voient pas une seule pièce de l’argent collecté ? Ce texte aborde la gratuité dans la culture (un sujet qui fâche et divise !), mais aussi, et assez subtilement, le sort des migrants. Pourquoi, à l’instar de leurs œuvres, ne pourraient-ils pas s’implanter un peu partout dans le monde sur des terres accueillantes ? On ouvre nos portes aux arts mais bâtissons des frontières imaginaires aux humains descendants de ceux qui les ont fabriqués.

Ce texte me semble aussi être à la fois une réponse et un pied de nez au discours de Dakar de SARKOZY en 2007, quand le alors tout nouveau Président de la République Française avait déploré que l’Afrique ne fût pas entrée dans l’Histoire (sic !). Des œuvres d’art montrent le contraire sans contestation possible. Un petit texte très vite lu mais que je vous engage à parcourir d’urgence, chaque phrase pose question, lance un débat, se transforme en pavé dans la mare. C’est un vrai petit bijou de 60 pages format minuscule paru en 2015 dans la collection Fictions d’Europe des géniales Éditions de La Contre Allée. Encore !


(Warren Bismuth)

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