samedi 1 septembre 2018

Boualem SANSAL « Le train d’Erlingen ou la métamorphose de Dieu »


Dans ce roman qui vient tout juste de sortir, Erlingen est une ville allemande fictive de 12000 âmes où est censé arriver un train ou plusieurs afin d’embarquer toute la population qui court un danger imminent. Ce danger le lecteur ne le connaîtra pas précisément. Cependant SANSAL va tellement le mettre sur la piste qu’il réalisera rapidement qu’il s’agit de l’islamisme fanatique et radicalisé. C’est par des biographies également fictives que SANSAL va faire ressurgir la réalité, d’Allemagne en Angleterre, de la France aux U.S.A. Il va à ce propos se remémorer les massacres des peuples indiens, anéantis par des colons venus d’Europe, colons nettoyant tout sur leur passage afin d’imposer le nouveau monde, compétitif et cruel (allusion au radicalisme actuel, bien sûr). Quant à ce train fantôme, que certains attendent hâtivement, d’autres avec angoisse, il représente bien ceux qui se rendaient à la queue leu leu vers des camps dont le terminus était souvent la chambre à gaz quelque part en Allemagne (déjà) ou en Pologne.

Comme toujours chez SANSAL, ce livre n’est pas qu’un roman, c’est aussi une longue page d’Histoire, une fable démente, un essai philosophique, un pamphlet contre l’islamisme (pas contre l’Islam, SANSAL tient à être clair là-dessus). Cette fois-ci, ce sont également des échanges épistolaires entre une mère et sa fille, sauf que la fille ne lira les lettres de son aïeule qu’une fois cette dernière décédée, et ne lui répondra qu’à ce moment-là.

Chez SANSAL les personnages semblent toujours secondaires, ils ne sont d’ailleurs pas toujours très bien brossés, ils manquent de caractère, de charpente, ils racontent plus qu’ils ne vivent, aussi je ne m’attarderai pas sur eux mais plutôt sur le fond, car si ce roman est totalement dans la lignée de ces précédents par les thèmes, les constats et les cris d’alerte, ici il est fortement imprégné par au moins trois écrivains.

Le premier, et l’aurez peut-être constaté dès le titre du présent roman, est KAFKA et sa « Métamorphose », planant durant tout le récit et véritable question de fond : un être humain peut-il se réveiller un jour métamorphosé, avec de nouveaux principes, un cœur perdu et une haine palpable ? Ce roman est très kafkaïen, beaucoup de questions sont soulevées, peu sont résolues. On ne connaît pas exactement l’ennemi, on ne voit pas comment le combattre : « Le mystère actuel est l’envahisseur. Nous ne savons rien des croyances qui l’animent mais sa façon de se couvrir de hardes, d’être partout et nulle part, de se tapir dans l’ombre et de frapper dans le dos, de savourer ses victoires par des cris aberrants et des transes échevelées, semble dire que sa religion, si c’en est une, s’est construite sur la tradition des peuples chasseurs-cueilleurs et s’exalte de nos jours sur des ruminations propres aux groupes humains qui sont passés de la société archaïque menacée d’extinction à la société de consommation compulsive sans passer par la société de labeur et de production de biens ».

Le deuxième auteur influent est Henry David THOREAU dont les thèses parsèment le roman, on sent bien que SANSAL est pénétré d’une grande admiration pour lui, même s’il convient que THOREAU n’a passé que deux ans protégé des hommes et de leur folie.

Le troisième, et c’est bien moins net, est le Dino BUZZATI du « Désert des tartares », livre dans lequel SANSAL voit la destinée imagée du monde en marche et futur. Il est cité en fin de volume.

Mais chez SANSAL ce n’est pas la douche froide en permanence, d’abord parce que la langue est d’une rare richesse, ensuite parce qu’il sait provoquer des situations cocasses afin d’amener un sourire réparateur voire rédempteur. Et puis il y a ces expressions désuètes qui fleurent bon le parler de naguère. Donc, si ce roman ressemble fort aux précédents de SANSAL, jusqu’à cet islamisme comparé au nazisme qu’il avait déjà fortement évoqué dans « Le village de l’allemand » par exemple, ce « Train d’Erlingen » est à lire, car il est peut-être plus complexe que tous les précédents, notamment par la structure originale en poupée gigogne. Peut-être aussi plus abouti que « 2084 », quoique dans la même lignée.

Vous n’y apprendrez rien de nouveau concernant les convictions et les combats de SANSAL, mais vous passerez un très bon moment aux côtés d’un écrivain érudit et très méticuleux, un auteur hautement engagé qui se fait lanceur d’alerte par sa plume et son militantisme. SANSAL est de ces écrivains indispensables qui savent prendre des risques pour faire éclater la vérité. Laissons-lui la parole afin de clore cette chronique : « Notre funeste erreur face à l’ennemi aura été la colère. Ecrasés par nos peurs et nos angoisses, nous avons cessé de réfléchir et nous sommes laissés gagner par le morbide attrait de la soumission ou celui de la furie destructive. Rabaissés à ce point, nous lui avons cédé le beau rôle du vainqueur magnanime qui, désolé et prêt à aider, regarde le fou trépigner et appeler à la mort ».

(Warren Bismuth)

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