Pas facile pour Javier CERCAS d’écrire ce
récit consacré à l’un de ses ancêtres, un grand-oncle pour être tout à fait
excat. Car cet aïeul est encombrant, il a en effet appartenu au mouvement de la
Phalange en Espagne un peu avant le déclenchement de la guerre civile de 1936.
C’est donc la courte vie de ce Manuel MENA que l’auteur va retracer. Courte car
l’ancêtre s’est fait dessouder en 1938 en pleine guerre à 19 ans.
Paradoxalement le personnage principal de
ce témoignage n’est peut-être pas le sieur Manuel mais bien un village planté
et planqué près de la frontière portugaise : Ibahernando, resté figé au
Moyen-âge. Car cette quête de la vérité (CERCAS ne sait pas grand-chose quand
il commence son travail, et ne sait d’ailleurs pas à l’époque s’il utilisera un
jour le résultat de ses recherches) va beaucoup s’arrêter dans ce bourg d’où est
native la famille du romancier.
Contre toute attente, il va dénicher des
survivants de l’avant-guerre. Encore mieux, il va pouvoir interviewer des
personnes ayant plus ou côtoyé le Manuel en question. Des photos retrouvées –
publiées dans le livre - en adresses données par des témoins, CERCAS va
lentement reconstituer cette vie fantôme. Il va devoir extirper de vilains
souvenirs de la guerre, reconnaître que sa famille était mouillée jusqu’au cou
du côté des Phalangistes, voire carrément des Franquistes (CERCAS est un homme
de gauche).
CERCAS entame un travail d’historien, mais
bien sûr se retrouve indirectement impliqué en tant que descendant de MENA.
Ainsi il tombe parfois dans le panneau de l’autobiographie partielle, se
mettant lui-même en scène. Il a d’ailleurs du mal à entrer dans le sujet, par
des hésitations, des supputations en rapport avec sa famille. Mais lorsqu’il
commence véritablement son enquête, c’est du grand CERCAS qu’il livre,
remontant avec brio à une période qu’il n’a pas connue. Il nous rappelle ce
CERCAS qui m’avait tant enthousiasmé avec son récit « L’imposteur »,
celui d’un anarchiste affabulateur, manipulateur et mythomane refaisant son
parcours afin de passer pour un héros national.
Dans « Le monarque des ombres »,
sorti en 2018 chez Actes Sud, il détaille la vie quotidienne et parfois sordide
dans un village en temps de guerre civile, loin de Madrid ou de Barcelone, dans
un temps ou un assassinat est appelé « promenade », où la délation
est monnaie courante et où la population tient à se placer du côté du plus
fort, du vainqueur, de Franco et ses troupes. Récit émouvant, passionnant, un
récit historique qu’il étaye de fac-similés afin de le rendre encore plus
authentique. Un bouquin nécessaire pour percevoir et explorer une facette
méconnue de la guerre d’Espagne. Une quête qui va permettre à l'auteur une comparaison
audacieuse avec « L’iliade » et « L’odyssée ».
(Warren
Bismuth)
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