Le roman
s'ouvre sur une scène capitale,
la première rencontre entre Julius, 19 ans, et Astrid (Assi, 17 ans). On
parvient assez rapidement à se faire une idée de la nature de l'amitié qui lie
Astrid et Jana, deux amies proches. D'ailleurs cette dernière avoue sans gêne à
Astrid qu'elle a déjà couché avec Julius mais le lui concède sans souci,
préférant elle-même aller coucher avec un garçon lambda rencontré le soir même.
Car Astrid et Jana partent en soirée, une soirée particulière, organisée par la
mère de Julius (et de son frère Sascha, 17 ans, l’âge d’Astrid), fantasque au
dernier degré.
Sous les apparences d'une première soirée
d'adolescents classique (musique, alcool, drogue et pieds dans le lac), ce
premier chapitre intitulé « Dans la forêt » permet aussi de poser le
cadre temporel : Allemagne de l'Est, la RDA dans les années 80, avant la
chute du mur de Berlin. Cela met en place une partie du nœud de
l'histoire : la mère de Julius, profession intellectuelle, artiste, est
empêchée d'exercer et elle profite de cette petite soirée pour pousser la
chansonnette.
Le chapitre 2 « Hôtel Gellért »,
opère un grand écart temporel : nous voici dans le présent, 25 ans plus
tard. On prend connaissance de nouveaux personnages. Paul, 44 ans, animateur
radio, le compagnon d'Astrid, Vera et Olivier, leurs amis. Ce n'est pas
anodin : cela nous permet de savoir que Julius n'est manifestement plus
dans la vie d'Astrid, que Paul ne sait rien de Julius alors qu'Astrid est
toujours hantée par son souvenir. Très intéressant : si les chapitres 1 et 2 sont aux antipodes de la chronologie du récit, on constate un
lien très fort entre les deux, citons, en fin de chapitre 1 « les pieds plongés dans l'eau froide »
et l’ouverture du chapitre 2 sur « elle
n'émerge pas comme au sortir de l'eau ». Bien entendu, c'est d'Astrid
dont il est question à chaque fois.
De
nos jours donc. Paul offre à Astrid un cadeau d’anniversaire : quelques
jours de vacances à Budapest, Hongrie, là où 25 ans plus tôt Astrid a aimé
Julius. Entre les épisodes amoureux de Julius et Paul, Astrid s’était entichée
de Tobias, avec lequel elle a eu deux enfants, un garçon, Samuel, et une fille,
Fine. Paul les a acceptés, et la réciproque semble vraie.
Mais
revenons sur la période où Astrid et Julius avaient eu un coup de cœur. La RDA,
les privations, les interdits, et cette liberté fantasmée, celle de derrière le
mur de Berlin, côté ouest. La RDA est sous régime soviétique, tyrannique. Une
envie incontrôlable d’aller voir de l’autre côté du mur, pouvoir consommer, le
régime capitaliste rendant envieux des citoyens cadenassés, surveillés,
rationnés. Et l’espoir naissant en U.R.S.S. avec GORBATCHEV, même si du côté
communiste de Berlin la nouvelle reste inconnue en raison de l’omerta : « ‘Révolution à Moscou’. On y lisait une
histoire compliquée où GORBATCHEV tentait de réformer l’Union Soviétique. Chez nos
vieux guignols à Berlin-Est, HONECKER, KRENZ et STOPH, rien de tout cela
n’avait filtré ».
Le
récit sur le passé s’engage à faire état du quotidien en Allemagne durant la
décennie 80, l’est contre l’ouest, une sorte de guerre (froide) des nerfs
interne, violente. La résignation contre l’espoir, la surveillance contre la
liberté.
Certains
habitants de l’est demandent l’extradition vers l’ouest, parmi lesquels les parents
de Jana. Les dossiers s’empilent, sont parfois acceptés, alors pourquoi ne pas
tenter sa chance ? Ce serait un drame personnel pour Astrid si Jana
passait la frontière.
Aller
voir de l’autre côté du mur semble impossible en passant par la simple « frontière »
berlinoise. Aussi il faut inventer des subterfuges, certes risqués :
« J’avais toujours imaginé que
Julius sonnerait et me demanderait ce qui m’était passé par la tête quand
j’avais tout simplement disparu en retournant à l’est le jour même où il
arrivait à Berlin-Ouest. Je n’ai jamais cessé de penser à la lumière
clignotante rouge sur le répondeur dans l’appartement de Jana. Ils mêlaient
leurs cris, Julius et Sascha ‘On est à Vienne ! On y est arrivés ! Vous
entendez, on est dehors ! On part tout de suite à Munich, et demain on
prend l’avion pour Berlin-Ouest’ ».
Le
climat est tendu car tous les habitants de l’est ne veulent pas rejoindre
l’ouest, un paradis pas toujours convoité : « Dans chacun de leurs interrogatoires, qui duraient des heures et des
heures, il ne s’agissait de rien d’autre. Il y avait toujours là un passeport
avec visa illimité pour partir en RFA. Mais moi je ne voulais absolument pas y
aller. Qu’est-ce que je serais aller faire dans ce monde malade, pourri par la
consommation ?... jusqu’à ce qu’il finisse par venir à moi, par la suite.
‘Révolution pacifique’, laissez-moi rire. Un peuple se soulève pour pouvoir
aller au supermarché. C’est tout ce que ç’a été ».
Pour la
forme, les années 80 où Astrid est la narratrice du récit, la période
contemporaine où ladite narration se fait neutre. Un chapitre pour les 80’s, un
chapitre pour aujourd’hui. À noter toutefois un chapitre où Paul devient le
narrateur. Récit assez dense où
l'on peut se perdre facilement car le temps dans lequel se passe la narration
change sans arrêt. Ce « défaut » est aussi une qualité du roman car
cela lui donne de l'énergie. Quatorze parties non numérotées mais qui portent
chacune un titre bien précis. Dans ce temps qui s'étire, il y a plusieurs
trames, toutes aussi intéressantes les unes que les autres et seule une lecture
complète du roman nous donne une vision globale du message véhiculé par
l'auteur.
L’un de
ceux-ci pourrait être le suivant : ne jamais sous-estimer le rôle de la
Stasi, le ministère de la sécurité d’État de la RDA, rôle prépondérant, un
« big brother » administratif, avec ces indicateurs, grâce auxquels
un avenir réjouissant est promis. Certains des personnages de ce roman en
feront les frais. Il ne s'agit
pas de dévoiler toute l'intrigue, dense, mais de nombreux points seront
abordés, tous différents les uns des autres mais convergents, d'une manière ou
d'une autre. L'amitié, l'amour, la maternité, la vie de couple qui s'achève
puis qui recommence, l'Allemagne de l'Est, de l'Ouest, la Stasi, la collaboration,
les difficultés de l'époque, variées en fonction du côté du mur où l'on vit.
Attention : deux fins de chronique proposées, telles une fin
alternative, faites votre choix :
1- Il y a un aspect un peu étrange dans ce
roman où Paul a un comportement particulièrement passif, cela manque de fougue
et rend le récit à son endroit particulièrement plat. Plat est aussi l'adjectif
applicable à Astrid, ce qui est fort dommage puisque c'est elle qui mène la
danse narrative. Il faudra attendre la toute fin de l'ouvrage et les mots de
son amie Vera et de Sascha pour comprendre que le récit reflète juste l'idée
déformée qu'elle a d'elle-même.
A contrario, elle est entourée de
personnages détestables : Julius qui ne souhaite pas s'engager mais lui
court tout de même après, Sascha qui donne l'image d'un petit délinquant sans
prétention, Jana, fleur toxique aussi belle que manipulatrice.
Un roman en demi-teinte, qui se
perd sans doute dans la multiplicité des trames et dans les aller-retour
temporels particulièrement compliqués à suivre pour le-la lecteur-ice.
2-
Ce roman se lit comme une épopée politique, nous replongeant dans les
improbables dédales de la guerre froide, de l’Allemagne divisée, explosée, de
Berlin coupé, tiraillé. Un conseil : lisez lentement les notes de la
traductrice Nicole THIERS, avec une concentration optimale, elles montrent à
elles seules la période de folie pure due à ce mur dressé, elles sont
explicites et jamais gratuites. Nous tenons là un roman de grande qualité,
brûlant, âprement politique, une piqûre de rappel douloureuse mais
indispensable sur ce que fut l’Allemagne des années noires, de la discorde. Le
mur de Berlin ne fut pas une légende, ce livre nous le rappelle de manière
lucide et implacable.
(Emilia Sancti & Warren Bismuth)
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