Question : est-il nécessaire de
s’appuyer sur un scénario solide pour réaliser un grand roman ? La réponse
est évidente après la lecture de cette oeuvre de BECKETT écrite en 1951,
premier volet d’une trilogie. Suivront « Malone meurt » en 1952 et
« L’innommable » en 1953. Donc cette réponse (sur la solidité du
scénario) me direz-vous ? Eh bien c’est non. Pas de réelle trame sur
laquelle se fier, ou si peu. Bref c’est du BECKETT pur jus.
Molloy est un type (c’est déjà pas mal comme
info, non ?) dont la santé devient de plus en plus précaire. Au départ,
une jambe douloureuse. Puis l’autre, ça commence à devenir difficile de faire
du vélo. Un accident, avec un chien, et un Molloy justement sur sa bicyclette,
qui emplafonne le pauvre toutou. Le chien défuncte. Il était promené au bout
d’une laisse. Pas grave dit la matronne à l’autre bout de ladite laisse, elle
l’amenait de toute façon se faire piquer chez le vétérinaire, c’est toujours ça
d’économisé.
Molloy ne va pas bien, sa santé non plus.
Il évolue en vase clos, comme à l’intérieur de lui-même. Rencontres avec des
gens, des objets, des minéraux, tout ce que la terre peut enfanter. Molloy
parle peu, ne réfléchit plus, ne sait plus écrire ni lire. Déchéance humaine.
Pour passer le temps il suce des pierres.
Seconde partie du tableau. Jacques Moran,
policier chargé de retrouver la trace de Molloy (pourquoi ?). Petite vie
de famille. Ah, le fils. Rapidement, Morvan ne va pas très fort non plus. Des
douleurs. Forcément ça rappelle quelqu’un. D’autant que Moran s’isole de plus
en plus, comme pour se protéger de ses frères humains. Deux parties, deux
monologues et des centaines de questionnements, car chez BECKETT la ligne de flottaison
n’existe pas : une question, cent réponses, cent possibilités de réponse
plutôt, cent digressions, si bien que l’on finit par ne plus savoir du tout
quelle était la question initiale. Embrouillamini ultime, casse-tête chinois,
puzzle avec des pièces manquantes ou montées à l’envers, moteur grippé ou simple
joint non étanche entraînant pourtant le démontage complet du véhicule (merci
pour ces références mécaniques).
BECKETT est un obsédé de l’écriture :
précise, horlogère (le temps prend de la place dans ce roman !), ciselée,
fine, mais s’emportant parfois avec des références ordurières sur le trou du
cul ou la merde qui en sort (réflexions anti-bourgeoises). Si la forme
littéraire n’était pas aussi perfectionniste, nous pourrions croire avoir
affaire à un manuel de mathématiques (tiens on croit apercevoir Sisyphe). Car
chez BECKETT tout revient au point de départ après des anecdotes burlesques C’est
Charlie CHAPLIN ou Harold LLOYD au pays d’un KAFKA sous trip. Certaines pages
sont hilarantes, d’une rare absurdité (lorsque Molloy cherche à sucer seize
pierres les unes après les autres mais désire les sucer chacune le même nombre
de fois). L’énigme ne progresse jamais. Enfin, si, mais quand elle le fait,
c’est toujours au niveau des douleurs, au détriment de la clarté. Douleurs qui
progressent donc, chez Molloy comme chez Moran. Mimétisme ?
L’humour est très fin, très présent. Ce
« Molloy » est typiquement le genre de bouquins difficile à analyser.
On croit à un gag burlesque ? Il s’agit d’une référence philosophique, psychologique.
BECKETT prend constamment à contre-pied. Souvent de manière hilarante. Il me
semble à la fois opaque (mais moins que la longue postface de Jean-Jacques
MAYOUX) et merveilleux, pétillant. Kafkaïen mais avec des paillettes derrière
l’insondable douleur. C’est diablement original et ça finit par nous faire
tourner en bourrique. D’après certaines mauvaises langues, les Éditions de
Minuit sont réellement nées avec BECKETT. Mais ce serait donner un vilain coup
de pied de l’âne à VERCORS, ce que je ne risquerai pas de faire (manque de souplesse).
(Warren
Bismuth)
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