Récit de voyage un peu particulier. En
2014 TESSON tombe lourdement de huit mètres en escaladant une façade. Il était
ivre. Des séquelles diverses lui resteront à vie. Après un long séjour à
l’hôpital il s’interroge : lui qui a tant voyagé un peu partout dans le
monde, et alors qu’il est désormais diminué, pourquoi ne pas tenter une épopée
plus locale, une traversée de la France, qu’il entreprendra près de la
frontière italienne pour la clôturer du côté de La Hague ? Il s’élance un
an après son accident pour un voyage à pied de deux mois et demi. C’est
celui-ci qu’il raconte dans ce livre.
Le titre de ce récit est emprunté à René
FRÉGNI (qu’il me faudra absolument vous présenter un jour), écrivain provençal.
Cela tombe bien puisque TESSON parcourt la Provence, et s’il pense à FRÉGNI, il
lui reste un coin de tendresse pour GIONO, et un clin d’œil à PAGNOL. Ses pas
le mènent sur des chemins caillouteux alors que son esprit voyage sur certaines
données de la campagne, son évolution, sa désertification (par les politiques
agricoles) et sa tentative de résurrection (toujours par les politiques
agricoles) : « Une batterie
d’experts, c’est-à-dire de spécialistes de l’invérifiable, y jugeaient qu’une
trentaine de départements français, appartenaient à ‘l’hyper-ruralité’. Pour
eux, la ruralité n’était pas une grâce mais une malédiction : le rapport
déplorait l’arriération de ces territoires qui échappaient au numérique, qui
n’étaient pas assez desservis par le réseau routier, pas assez urbanisés ou qui
se trouvaient privés de grands commerces et d’accès aux administrations. Ce que
nous autres, pauvres cloches romantiques, tenions pour une clé du paradis sur
Terre – l’ensauvagement, la préservation, l’isolement – était considéré dans
ces pages comme des catégories du sous-développement ».
Le développement se produira au détriment
de la nature après l’inévitable vague de désertification, entraînant une sorte
de monde englouti. Dans ces paysages, non seulement dans les villages abandonnés,
tout ce qui est empreinte humaine semble synonyme de pollution. « La terre était cimentée, lavée de produits
chimiques, domestiquée par les besoins de la parfumerie et de la production de
miel. La lutte contre les insectes avait été remportée. On y avait gagné un
silence de parking. Il n’y avait pas un vrombissement dans l’air ». TESSON
s’arrête sur cette ruralité subventionnée, ne survivant plus que par les subsides
d’un Etat un peu dépassé.
TESSON continue sa marche, des amis
viennent le rejoindre, lui rappelant la Russie qu’il adore, qu’il vénère, une
Russie qu’il désire avec passion (parfois peut-être un peu trop, voir le livre
de chroniques « Une légère oscillation »). Mais il est bel et bien
sur des chemins français, ces fameux chemins noirs. « C’étaient mes chemins noirs. Ils ouvraient sur l’échappée, ils étaient
oubliés, le silence y régnait, on n’y croisait personne et parfois la
broussaille se refermait aussitôt après le passage. Certains hommes espéraient
entrer dans l’Histoire. Nous étions quelques-uns à préférer disparaître dans la
géographie ».
Après la Provence, traversée des Cévennes,
du Cantal, de la Corrèze, de la Creuse. Des moments difficiles dans des terres
peu plates et peu accueillantes. Puis tout à coup, une fois les pieds habitués
à nouveau à un terrain plus propice car plus plat, le récit se fait plus elliptique
(le parcours Provence-Nord des Cévennes, représentant pourtant une faible
partie du voyage, s’étend sur la moitié du livre), peut-être aussi moins
passionné. Il n’y est plus question de références à des auteurs.
Durant ce voyage, il rencontrera des
humains, ce qui ne le remplit d’ailleurs pas de joie. Il passera près de
villes, notera l’étendue du béton, des barres de HLM qui n’en finissent plus,
du goudron qui enterre la terre. On appelle ça la libre circulation il paraît.
TESSON ne va pas manger de ce pain-là, il va dormir à la belle étoile, parfois
sous la pluie, mais toujours sans alcool, interdit pour lui depuis son
accident. Il constate : « Le
drapeau de l’UE flottait sur les maisons aux volets clos. Les équarrisseurs du
vieil espace français s’occupaient à recoudre le cadavre de la campagne dont
ils avaient contribué au trépas ».
Puis ce sera la vision de la Manche, vue
depuis La Hague, fin de l’aventure. Un bouquin qui fleure bon la décroissance
et l’isolement volontaire, la spiritualité dans la marche intensive. Sorti en
2016, il fait voyager à peu de frais, même si le constat n’est pas toujours
brillant ni optimiste (on le serait à moins) : « En première ligne, la campagne subissait les affres des mutations. Les
paysans manifestaient leur désarroi devant un marché qui prenait les dimensions
du globe. On le comprenait : quand on a cultivé un terroir pendant deux
mille ans, il n’était pas facile de participer à la foire mondiale ».
(Warren
Bismuth)
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