vendredi 16 août 2019

Jana ČERNÁ « Pas dans le cul aujourd’hui »


Dressons tout d’abord un portrait succinct de l’auteure tchèque si vous le permettez. Jana ČERNÁ n’était autre que la fille de Milena JESENSKÁ la muse de KAFKA – qui a notamment traduit ses œuvres en tchèque - à qui il écrira tant de lettres, la Milena au parcours singulier, morte en déportation à Ravensbrück en 1944, amie de Margarete BUBER-NEUMANN qui lui consacrera par ailleurs une biographie. Sa propre fille Jana lui accordera aussi une biographie, disponible chez La Contre Allée, l’éditeur qui a sorti le présent petit livre.

Le récit est une lettre que Jana ČERNÁ écrivit à son ami Egon BONDY, figure, tout comme Jana, de l’underground pragois des décennies 1950 et au-delà. Cette lettre possède un ton rythmé, libéré de tout style, voire agressif. Si la présence de Dieu est indéniable (Jana venait de se mettre à croire de plus en plus farouchement), les thèmes soulevés sont bien plus rationnels et variés. Le raisonnable : « Tout ce que j’ai fait dans ma vie et dont j’ai eu honte, je l’ai fait parce que c’était raisonnable. Non merci, sans façon, gardez-moi de la peste, du typhus et de l’esprit raisonnable. Le raisonnable, ce sont les affiches antialcooliques, la gestion d’État, les préservatifs et la télévision, c’est la poésie stérile qui sert la bonne cause ; pour l’amour du ciel, épargnez-moi le raisonnable, j’ai assez de vitalité pour en supporter plus que n’importe qui d’autre, mais le raisonnable me ferait mourir en moins d’une semaine de la mort la plus triste qui soit ».

Le décor est planté, Jana ne va guère s’avérer raisonnable tout au long de cette lettre. Attaques en piqué, tout d’abord contre les poètes – pas contre la poésie -, déjà évoqués plus haut : « Le diable seul sait pourquoi la plupart de ceux qui s’occupent à produire de la poésie s’imaginent qu’elle doit être utile à quelqu’un, qu’ils en arrivent à cette absurdité d’écrire pour des gens dont ils n’ont rien à faire et à qui ils ne payeraient même pas un petit rhum avec leurs honoraires, mais qu’il veulent coûte que coûte gratifier de leur production », puis c’est le tour des philosophes – et non de la philosophie - d’en prendre pour leur grade : « Je ne crois pas et je ne croirai sans doute jamais qu’en philosophie on puisse parvenir où que ce soit à pied sec, en suivant la voie de l’érudition, de l’instruction policée. Bon sang de bonsoir, qu’y a-t-il de plus excitant que la philosophie et qui donc y ferait quoi que soit de bon en éliminant cette excitation orgasmique, ça, je vous le demande ! C’est comme si on voulait se servir de pilules aseptisées et inoffensives pour baiser – sauf que la philosophie n’est pas inoffensive pour la santé et ne peut pas se pratiquer ainsi ».

Arrivent l’amour physique et le désir : « Il est vraiment difficile de faire la part entre l’excitation due à ton corps que je connais si intimement, et celle qui vient de n’importe laquelle de nos discussions ». Vient poindre la relation amoureuse libre de tout carcan, mais Jana se révèle jalouse, peut-être possessive. Antinomie. Elle voit une sécurité dans la confiance, peut-être dans la fidélité. Car cette lettre est avant tout une confession sur les sentiments, les états d’âme, engendrant la culpabilisation (le couple vient-il de se séparer ? Nous pouvons le penser même si aucun indice n’est mis en avant).

Jana se fait maintenant ouvertement sexuelle, emplie de fantasmes, elle déshabille son âme. À ce moment de la lecture de la présente chronique, je vous demanderai instamment d’éloigner vos enfants mineurs de l’écran, ou je ne réponds plus de rien quant à leur possible traumatisme en résultant. Bon, maintenant qu’ils sont neutralisés, poursuivons. En effet, Jana se met à écrire crûment sur le sexe. Quelques pages définitivement pornographiques viennent étayer ses pensées aux 2/3 du récit. Car plus que jamais, Jana désire, recherche l’amour rare car non conforme, non normalisé, loin du missionnaire à la papa. Un exemple parmi la myriade d’images (les enfants sont planqués) : « Que je ne puisse pas livrer tout mon corps à ta dévastation à commencer par mes nichons et ma chatte et jusqu’à mon cul, pour que tu les baises et les rebaises, et puis te forcer, de ma langue artistiquement plongée dans ton cul, à balancer ta sauce, le visage tordu par le spasme ? ».

Le style devient sadien, le fantasme de l’urophilie se profile, je ne le relaierai point par peur des ligues catholiques et/ou conservatrices. Jana seule, alors qu’elle souhaiterait plus que tout être avec Egon : « Je pourrais me tripoter la chatte toute seule, mais je ne veux pas me tripoter la chatte, je te veux toi, je veux tes doigts et non les miens, je veux ta langue et ta bite, mes doigts à moi ne font vraiment pas l’affaire. Ça m’exciterait en vain et ce serait encore pire, c’est déjà assez scabreux comme ça ». Certes.

La pensée devient confuse car trop excitée par l’image du corps, du sexe, de toutes les possibilités de jouer avec l’organe sexuel masculin afin de se faire du bien, de LUI faire du bien, de le voir gicler, partout et en toutes circonstances, maculer le corps féminin. Mais déjà nous parviennent les pensées sur la grâce, l’espoir, les projets, une fin plus douce, comme délivrée de la faim du membre actif et vénéré.

Ce livre plus petit qu’un format poche est sorti en 2014 chez La Contre Allée dans la collection Les Périphériques, il est bien sûr à ne pas mettre entre toutes les mains (y compris onanistes), le titre est à lui seul une mise en garde. Pour le reste, c’est du brut de décoffrage, sans filtres, et quelque part sans illusions. La traduction de Barbora FAURE est jouissive. Rideau.


(Warren Bismuth)

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