Dressons tout d’abord un portrait succinct
de l’auteure tchèque si vous le permettez. Jana ČERNÁ n’était autre que la
fille de Milena JESENSKÁ la muse de KAFKA – qui a notamment traduit ses œuvres
en tchèque - à qui il écrira tant de lettres, la Milena au parcours singulier,
morte en déportation à Ravensbrück en 1944, amie de Margarete BUBER-NEUMANN qui
lui consacrera par ailleurs une biographie. Sa propre fille Jana lui accordera
aussi une biographie, disponible chez La Contre Allée, l’éditeur qui a sorti le
présent petit livre.
Le récit est une lettre que Jana ČERNÁ
écrivit à son ami Egon BONDY, figure, tout comme Jana, de l’underground pragois
des décennies 1950 et au-delà. Cette lettre possède un ton rythmé, libéré de
tout style, voire agressif. Si la présence de Dieu est indéniable (Jana venait
de se mettre à croire de plus en plus farouchement), les thèmes soulevés sont
bien plus rationnels et variés. Le raisonnable : « Tout ce que j’ai fait dans ma vie et dont
j’ai eu honte, je l’ai fait parce que c’était raisonnable. Non merci, sans
façon, gardez-moi de la peste, du typhus et de l’esprit raisonnable. Le
raisonnable, ce sont les affiches antialcooliques, la gestion d’État, les
préservatifs et la télévision, c’est la poésie stérile qui sert la bonne
cause ; pour l’amour du ciel, épargnez-moi le raisonnable, j’ai assez de
vitalité pour en supporter plus que n’importe qui d’autre, mais le raisonnable
me ferait mourir en moins d’une semaine de la mort la plus triste qui soit ».
Le décor est planté, Jana ne va guère
s’avérer raisonnable tout au long de cette lettre. Attaques en piqué, tout
d’abord contre les poètes – pas contre la poésie -, déjà évoqués plus haut :
« Le diable seul sait pourquoi la
plupart de ceux qui s’occupent à produire de la poésie s’imaginent qu’elle doit
être utile à quelqu’un, qu’ils en arrivent à cette absurdité d’écrire pour des
gens dont ils n’ont rien à faire et à qui ils ne payeraient même pas un petit
rhum avec leurs honoraires, mais qu’il veulent coûte que coûte gratifier de
leur production », puis c’est le tour des philosophes – et non de la
philosophie - d’en prendre pour leur grade : « Je ne crois pas et je ne croirai sans doute jamais qu’en philosophie on
puisse parvenir où que ce soit à pied sec, en suivant la voie de l’érudition,
de l’instruction policée. Bon sang de bonsoir, qu’y a-t-il de plus excitant que
la philosophie et qui donc y ferait quoi que soit de bon en éliminant cette
excitation orgasmique, ça, je vous le demande ! C’est comme si on voulait
se servir de pilules aseptisées et inoffensives pour baiser – sauf que la
philosophie n’est pas inoffensive pour la santé et ne peut pas se pratiquer
ainsi ».
Arrivent l’amour physique et le désir :
« Il est vraiment difficile de faire
la part entre l’excitation due à ton corps que je connais si intimement, et
celle qui vient de n’importe laquelle de nos discussions ». Vient
poindre la relation amoureuse libre de tout carcan, mais Jana se révèle jalouse,
peut-être possessive. Antinomie. Elle voit une sécurité dans la confiance,
peut-être dans la fidélité. Car cette lettre est avant tout une confession sur
les sentiments, les états d’âme, engendrant la culpabilisation (le couple
vient-il de se séparer ? Nous pouvons le penser même si aucun indice n’est
mis en avant).
Jana se fait maintenant ouvertement
sexuelle, emplie de fantasmes, elle déshabille son âme. À ce moment de la
lecture de la présente chronique, je vous demanderai instamment d’éloigner vos
enfants mineurs de l’écran, ou je ne réponds plus de rien quant à leur possible
traumatisme en résultant. Bon, maintenant qu’ils sont neutralisés, poursuivons.
En effet, Jana se met à écrire crûment sur le sexe. Quelques pages
définitivement pornographiques viennent étayer ses pensées aux 2/3 du récit.
Car plus que jamais, Jana désire, recherche l’amour rare car non conforme, non
normalisé, loin du missionnaire à la papa. Un exemple parmi la myriade d’images
(les enfants sont planqués) : « Que
je ne puisse pas livrer tout mon corps à ta dévastation à commencer par mes
nichons et ma chatte et jusqu’à mon cul, pour que tu les baises et les
rebaises, et puis te forcer, de ma langue artistiquement plongée dans ton cul,
à balancer ta sauce, le visage tordu par le spasme ? ».
Le style devient sadien, le fantasme de l’urophilie
se profile, je ne le relaierai point par peur des ligues catholiques et/ou
conservatrices. Jana seule, alors qu’elle souhaiterait plus que tout être avec
Egon : « Je pourrais me
tripoter la chatte toute seule, mais je ne veux pas me tripoter la chatte, je
te veux toi, je veux tes doigts et non les miens, je veux ta langue et ta bite,
mes doigts à moi ne font vraiment pas l’affaire. Ça m’exciterait en vain et ce
serait encore pire, c’est déjà assez scabreux comme ça ». Certes.
La pensée devient confuse car trop excitée
par l’image du corps, du sexe, de toutes les possibilités de jouer avec
l’organe sexuel masculin afin de se faire du bien, de LUI faire du bien, de le
voir gicler, partout et en toutes circonstances, maculer le corps féminin. Mais
déjà nous parviennent les pensées sur la grâce, l’espoir, les projets, une fin
plus douce, comme délivrée de la faim du membre actif et vénéré.
Ce livre plus petit qu’un format poche est
sorti en 2014 chez La Contre Allée dans la collection Les Périphériques, il est
bien sûr à ne pas mettre entre toutes les mains (y compris onanistes), le titre
est à lui seul une mise en garde. Pour le reste, c’est du brut de décoffrage,
sans filtres, et quelque part sans illusions. La traduction de Barbora FAURE
est jouissive. Rideau.
(Warren
Bismuth)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire