Wahou. Voilà le premier mot qui me vient à
l’esprit en terminant la lecture de « De pierre et d’os », second
ouvrage de Bérangère COURNUT aux très belles éditions du Tripode. 220 pages
d’un récit superbe, suivies de quelques clichés qui ont inspirés l’auteure pour
l’écriture de son roman. Et pourtant, encore une fois, j’ai failli passer à
côté : explications.
Avant de commencer un ouvrage j’ai
l’habitude de me repaître de la quatrième de couverture, du fameux résumé, qui
me permet d’ordonner mes lectures en fonction de mes envies, de mes besoins du
moment. Les quelques lignes lues me ravissent : une jeune femme, inuit, se
retrouve séparée de sa famille par une fracture dans la banquise. Mon
imagination galope et j’imagine déjà une épopée survivaliste. Manqué. Déception
de prime abord, puis une pointe d’agacement : les quatrièmes, de plus en
plus, m’induisent en erreur. Heureusement Bérangère COURNUT écrit
merveilleusement bien, immersion totale en vue.
La jeune héroïne de ce roman initiatique se
nomme Uqsuralik, qui signifie mi-ours, mi-hermine. Réveillée par ses règles que
l’on devine être les premières de sa vie, l’adolescente sort de la tente
familiale et fait quelques pas dehors en regardant le sang couler. Un grondement,
une vibration, la banquise se sépare et chaque morceau part à la dérive :
d’un côté l’adolescente, de l’autre un père, une mère et un petit frère. Le
père n’a le temps que de jeter à sa fille un petit paquetage fait avec la peau
d’un ours, contenant quelques outils. Le brouillard bouche l’espace, bientôt
Uqsuralik est seule.
Elle ne se démonte pas, la voilà partie pour
retrouver la terre ferme et éventuellement d’autres nomades chez lesquels elle
pourra trouver refuge. La jeune fille a la tête froide : cheminant, elle
finit par tomber sur une meute de chiens, une femelle et quatre mâles, déjà
excités par l’odeur du sang, qui ne songent qu’à se ruer sur Uqsuralik pour la
dévorer. La femelle, Ikasuk, la défend et notre héroïne n’hésitera pas à tuer
l’un des chiens pour se nourrir car elle a peu de chance lorsqu’elle s’essaie à
la chasse.
Ses pas la conduiront vers d’autres êtres
vivants, avec lesquels elle traversera la vie, faite de famines parfois, de
tabous qu’il faut respecter, d’esprits plus ou moins bienveillants,
d’amulettes, de repas qui nous sont complètement étrangers : « Une pâte gluante au milieu de laquelle on
distingue de petits os. Il s’agit de mergules enfermés là depuis l’automne
dernier (NDLR : plus d’un an) et
qui ont pourri, fermenté avec leurs plumes et leurs entrailles ».
C’est donc l’histoire d’une vie,
d’Uqsuralik, que nous suivrons toute jeune fille, jusqu’à sa mort, où l’on
rencontrera des hommes bons et des hommes mauvais, des femmes exceptionnelles,
comme Sauniq par exemple.
En dehors de la magnifique écriture de
Bérangère COURNUT, j’ai appris une foule de choses des rituels Inuits, que je ne
pouvais même pas imaginer. Les nouveau-nés choisissent eux-mêmes le prénom de
leurs ancêtres disparus, tant et si bien que l’enfant de X peut aussi être la
mère de X car en prenant le prénom il prend aussi l’âme de la personne décédée.
On assiste parfois à des dialogues étranges auxquels il faut s’habituer où
certains parents nomment affectueusement leur enfant « petite mère » : il nous appartient
d’être attentifs pour ne pas tout mélanger. Ceci n’est qu’un exemple, l’ouvrage
regorge d’informations enrichissantes tant sur le plan humain que sur le plan
intellectuel. Notons notamment que le récit est émaillé de chants traditionnels
où les familles racontent leurs histoires de vie, où l’on récite des poèmes
protecteurs ou mystiques.
Ce roman est un roman initiatique où
Uqsuralik va devoir apprendre à devenir une femme, un individu autonome et
singulier, cet individu mi-ours mi-hermine qui lui confère des pouvoirs
particuliers et qui se mêle autant aux hommes et à leur chasse, qu’aux femmes
et au tannage des peaux. On s’attache énormément à ce personnage, qui ne doit
pas être aussi fictionnel que cela d’ailleurs. Résolument féministe aussi :
« Les femmes puissantes
Encourent d’abord
Tous les dangers »
J’affirme sans peine que notre héroïne, tout
comme la majorité des femmes du roman d’ailleurs, n’ont finalement que peu
besoin des hommes, c’est une autre société que l’on nous donne à voir, même si
l’on constate certaines dérives patriarcales (rien n’est idyllique).
Le Tripode choisit de ne publier qu’un seul
livre lors de cette rentrée littéraire : pas besoin d’en publier plusieurs
quand on propose un roman d’une telle qualité. Wahou, bis repetita.
(Emilia Sancti)
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