Jean-Marc vient de s’éteindre à l’âge de
66 ans. L’éternel révolté, chanteur de rue, chanteur des rues, faisant la
manche notamment dans le quartier de la Croix-Rousse à Lyon, l’homme écorché
vif, aux textes trempés dans le vitriol, mais aussi dans la lavande amère, est
parti le 3 août 2019. Comme ce blog est consacré à la littérature, aux livres,
je désirais ici rendre hommage au chanteur libertaire avec ce recueil de textes
qu’il a su mettre en musique, lui ce baroudeur, cet éclopé de la vie, souffrant
de 1000 maux dans son cœur, son âme puis son corps.
Jean-Marc LE BIHAN restera comme l’un de
ces géants de la chanson française, celle qui a un message à faire passer,
qu’il soit social, politique ou simplement d’amour. Artisan sans nuances,
transpirant sa rébellion jusqu’à son large front, sueur mouillant ses yeux
expressifs de grand enfant désabusé. Mon regret sera de ne jamais l’avoir vu
jouer en concert. Mais il reste les enregistrements, nombreux (plus de dix
albums), même s’ils ne sont pas faciles à dégoter de nos jours. Puis bien sûr
ses textes sans fioritures, touchant en une phrase son sujet. LE BIHAN n’a
cessé de chanter, dans les salles et dans les rues, sur le bitume, à la fête de
l’Huma, comme l’artisan inépuisable qu’il était, refusant la gloire et ses
simagrées.
Sa longue silhouette fine, son visage
émacié aux joues creusées par le temps, sa voix devenue éraillée par l’érosion
de la vie, ses textes personnels venus d’un solitaire aimant le peuple, d’un homme
qui se décrivait comme un chat de gouttière.
Dans ce livre assez difficile à trouver de
nos jours, sorti en 2004 aux éditions Épistoles basées en Haute-Loire, une
préface de l’auteur-compositeur écrivain Pierre-Éric DROIN, puis une de Marc
SIMOND, auteur-compositeur et interprète. Place au maestro Jean-Marc lui-même,
qui noircit brièvement deux pages, comme par pudeur. « Au royaume des hommes devenus masochistes,
cette frontière errante sans frontière, sans papiers, dérange l’ordre établi.
Nous sommes tous des errants. Il n’y a pas d’élus. Les races ne sont que les
vêtements du corps, la pensée mise en tendresse est de toutes les couleurs,
elle ne se soumet pas à la connerie universelle, au troupeau. La pensée est
poésie, elle voyage sans drapeau, sans pays ».
Place au poète. 27 textes de toutes
périodes de sa longue et cahoteuse carrière, certains très longs, comme des
pamphlets envoyés à coups de poings et de frondes dans les bides des puissants,
des tyrans. Ces textes sont empreints de toute l’atmosphère du poète, son
obsession de la mort, de la vieillesse, l’enfance qu’il n’aurait jamais voulu
quitter, puis ce père imposant :
« Je
voudrais traverser la terre, tenir ta main et la serrer,
Foutre
en l’air toutes les frontières qui nous empêchent de nous toucher.
Je
voudrais te parler sans cesse pour mieux t’entendre et t’écouter,
Réhabiter
à ton adresse, ne plus jamais te voir pleurer.
J’voudrais
faire le con à la messe, tirer le diable par la queue,
Redire
des mensonges à confesse et me refoutre du Bon Dieu »
Père prenant une place prépondérante chez
un LE BIHAN qui sait aussi parler aux femmes, aux opprimés, aux petites gens,
aux vagabonds, aux moins que rien. À tous ceux-ci il leur offre son empathie, sa
compassion, son humanisme, ses vers, son coeur. Dans son désespoir peut
transparaître une courte lueur qui le fait avancer. Il parle d’avortements, nie
la religion, se considère comme fou, évoque le quotidien vu et entendu « Les bistrots sont le corbillard du peuple ».
Il use de néologismes sans jamais en abuser, il pleure, il crie, les larmes et
la révolte semblent être son carburant. Des pensées fortes sur la vie « La vie est une guerre qui se fait sans héros »,
la mort, les souvenirs. Le dernier texte « Lettre enfantine » destiné
à son père est peut-être le plus déchirant de tous.
LE BIHAN se raconte, ne se trompe pas sur
son compte :
« Au
pavillon des cœurs sensibles
Les
humains se donnent la main
Ils
ont atteint la même cible
Ils
sont sur le même chemin.
Les
gens ne comprendront jamais
Que
quand l’amour t’est interdit
Tu
préfères mourir en secret
Fermer
ta porte sans faire de bruit ».
Le recueil s’était ouvert sur « La
misère et la mort », texte très puissant, le plus beau étant peut-être ce
« Des gens sans importance », long et douloureux.
La douleur, encore et toujours, la mort
qui avance à pas feutrés :
« Nous
sommes des milliers, nous serons des milliards,
Fatigués,
entassés dans le même corbillard,
Criant
‘chacun pour soi’ et piétinant les autres,
L’argent,
ce vieux bourgeois, se conduit en apôtre ».
Il est sensible à la nature, à sa
destruction inéluctable (l’humain, toujours) :
« Purin
nacré de poissons pourriture
Une
odeur de crevé vous prend jusqu’à la moelle
À
la contempler on la sent sans nature
C’est
un chiotte public, et non plus une étoile ! »
Les envies impossibles, toujours imagées
(d’ailleurs le livre est émaillé de photographies et de dessins), et la
lucidité qui s’empare de son âme :
« Jusqu’au
fond de mes tripes et jusqu’au fond des choses,
Et
quitte à me tromper et me tromper encore,
Je
suis ce que je suis et ne suis pas grand’chose
Jusqu’au
bout de la vie et jusqu’après la mort »
Chapeau
l’artiste et merci pour tout. Que tu puisses reposer enfin en paix.
(Warren
Bismuth)
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