vendredi 1 novembre 2019

Jacques JOSSE « Café Rousseau »


« Un café, un soir… Il n’y rien d’autre à décrire. Aucune histoire louche à pétrir. La fin d’un parcours ordinaire se prépare, un point c’est tout ». Et pourtant.

C’est imminent : Rousseau, ancien marin et présentement cavetier du bar portant son nom, va passer l’arme à gauche. Dans son vieux lit en fer qui a déjà hébergé des mourants, il ne va pas tarder à éteindre sa dernière bougie. Il n’en faut pas plus pour attirer au chevet du malade dernier degré l’abbé Inizan, toujours prêt à offrir l’extrême onction et accessoirement rappeler à ses fidèles ouailles la parole, la présence et le pouvoir du Bon Dieu. Rousseau délire sur sa couche, revoit les moments passés, du lointain passé, celui d’un monde révolu, par exemple lorsqu’il a connu dans divers ports du globe le poète grec Nikos KAVVADIAS. « Ah, le sacré tohu-bohu des souvenirs ! ».

L’action se déroule en Bretagne. Bien sûr. Plus précisément du côté de Gwin-Zégal, tout près de la falaise du Goëlo. Il s’y passe de drôles de trucs : les ivrognes, les fumeurs invétérés, les fous, les exhibitionnistes, Hubert l’idiot du village, le fossoyeur qui intègre des souvenirs marquants des défunts dans leur cercueil, le prêtre lubrique, la position de la bête à deux dos derrière les buissons, les camionneurs frappadingues, tout ce petit monde disparate cohabite tant bien que mal dans ce bled gonflé de souvenirs : les suicidés, les péris en mer, les assassinés, les trépassés locaux de 1916 du côté du chemin des dames.

Et puis l’action en direct : Nid’pie qui emplafonne sa 4L dans un panneau téléphonique, fin de partie. Rousseau qui n’en finit plus de mourir, de délirer, Inizan qui n’en finit plus d’espérer, lui le curé qui aime tant se défroquer. Rousseau qui semble s’habituer à sa maladie, celle qui ronge son foie : « Entre lui et la maladie, on pressent d’emblée que mille et mille habitudes ont été prises. Des liens se sont tissés… Elle insiste, elle quémande. Elle veut tenir ses quarts de veille… Dans le huis clos de la mansarde tous deux doivent se chuchoter de drôles d’histoires, des drames à becs d’oiseaux, des tranches d’amour se figeant en torgnoles d’iode et des tendresses brutales qui tombent de la falaise avec de beaux cernes de cendres couvrant jusqu’aux aurores… ».

Le docteur est formel « Le cœur s’accroche à la barre, mais il connaît des émois de vieux célibataire en rupture d’abstinence ». Alors le curé fait reluire tous les ustensiles utiles à une cérémonie de caractère.

Il y a du BRASSENS dans ce court roman de 2000 sorti chez la Digitale, on croit reconnaître quelques silhouettes échappées de lignes du grand Georges qui seraient venues se perdre au pied du Goëlo pour enterrer Rousseau. L’humour, très présent, noir, rappelle aussi celui de BRASSENS, la langue plus verte que d’habitude mais toujours aussi envoûtante. Les petites gens, leurs descriptions, les anecdotes cocasses, la mort qui se fiche de nous, nous qui nous fichons de la mort, « Café Rousseau » est de ces farces morbides qui rient de la faucheuse, qui lui lancent des pieds de nez comme pour la repousser une dernière fois. Ce livre a obtenu en son temps – 2001 – le prix du roman de la ville de Carhaix. Il est aussi court qu’il est hardi. JOSSE est particulièrement à l’aise et talentueux dans ce format, il virevolte et emploie les mots, les images adéquates qui atteignent le centre de sa cible. Petit joyau dont vous devrez vous munir si vous avez la chance de le trouver un jour à acheter voire à emprunter.


(Warren Bismuth)

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