« Un
café, un soir… Il n’y rien d’autre à décrire. Aucune histoire louche à pétrir.
La fin d’un parcours ordinaire se prépare, un point c’est tout ». Et
pourtant.
C’est imminent : Rousseau, ancien
marin et présentement cavetier du bar portant son nom, va passer l’arme à
gauche. Dans son vieux lit en fer qui a déjà hébergé des mourants, il ne va pas
tarder à éteindre sa dernière bougie. Il n’en faut pas plus pour attirer au
chevet du malade dernier degré l’abbé Inizan, toujours prêt à offrir l’extrême
onction et accessoirement rappeler à ses fidèles ouailles la parole, la
présence et le pouvoir du Bon Dieu. Rousseau délire sur sa couche, revoit les
moments passés, du lointain passé, celui d’un monde révolu, par exemple lorsqu’il
a connu dans divers ports du globe le poète grec Nikos KAVVADIAS. « Ah, le sacré tohu-bohu des souvenirs ! ».
L’action se déroule en Bretagne. Bien sûr.
Plus précisément du côté de Gwin-Zégal, tout près de la falaise du Goëlo. Il
s’y passe de drôles de trucs : les ivrognes, les fumeurs invétérés, les
fous, les exhibitionnistes, Hubert l’idiot du village, le fossoyeur qui intègre
des souvenirs marquants des défunts dans leur cercueil, le prêtre lubrique, la
position de la bête à deux dos derrière les buissons, les camionneurs
frappadingues, tout ce petit monde disparate cohabite tant bien que mal dans ce
bled gonflé de souvenirs : les suicidés, les péris en mer, les assassinés,
les trépassés locaux de 1916 du côté du chemin des dames.
Et puis l’action en direct : Nid’pie
qui emplafonne sa 4L dans un panneau téléphonique, fin de partie. Rousseau qui
n’en finit plus de mourir, de délirer, Inizan qui n’en finit plus d’espérer,
lui le curé qui aime tant se défroquer. Rousseau qui semble s’habituer à sa
maladie, celle qui ronge son foie : « Entre lui et la maladie, on pressent d’emblée que mille et mille
habitudes ont été prises. Des liens se sont tissés… Elle insiste, elle
quémande. Elle veut tenir ses quarts de veille… Dans le huis clos de la
mansarde tous deux doivent se chuchoter de drôles d’histoires, des drames à
becs d’oiseaux, des tranches d’amour se figeant en torgnoles d’iode et des
tendresses brutales qui tombent de la falaise avec de beaux cernes de cendres
couvrant jusqu’aux aurores… ».
Le docteur est formel « Le cœur s’accroche à la barre, mais il
connaît des émois de vieux célibataire en rupture d’abstinence ».
Alors le curé fait reluire tous les ustensiles utiles à une cérémonie de
caractère.
Il y a du BRASSENS dans ce court roman de
2000 sorti chez la Digitale, on croit reconnaître quelques silhouettes
échappées de lignes du grand Georges qui seraient venues se perdre au pied du
Goëlo pour enterrer Rousseau. L’humour, très présent, noir, rappelle aussi
celui de BRASSENS, la langue plus verte que d’habitude mais toujours aussi
envoûtante. Les petites gens, leurs descriptions, les anecdotes cocasses, la
mort qui se fiche de nous, nous qui nous fichons de la mort, « Café
Rousseau » est de ces farces morbides qui rient de la faucheuse, qui lui
lancent des pieds de nez comme pour la repousser une dernière fois. Ce livre a
obtenu en son temps – 2001 – le prix du roman de la ville de Carhaix. Il est
aussi court qu’il est hardi. JOSSE est particulièrement à l’aise et talentueux
dans ce format, il virevolte et emploie les mots, les images adéquates qui
atteignent le centre de sa cible. Petit joyau dont vous devrez vous munir si
vous avez la chance de le trouver un jour à acheter voire à emprunter.
(Warren
Bismuth)
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