« C’est toujours ainsi que j’ai procédé :
jeter des passerelles de fiction entre deux blocs de réalité. Un peu comme on
traverse un torrent en s’appuyant sur des rochers épars. J’ai résolu pas mal
d’affaires avec cette méthode et j’étais surpris, souvent, de voir mes
hypothèses se confirmer. D’autant que j’imagine toujours le pire ».
Depuis
plus de 35 ans Didier DAENINCKX est un raconteur d’histoires, mais suivant une
recette bien précise : historiques et politiques, surtout en France, par
le prisme de la fiction, en agglomérant des personnages fictifs à des faits
divers ou affaires réels, les présentant souvent sous forme de polar, d’une
plume militante, celle de l’extrême gauche. Ce recueil de novellas (longues
nouvelles ou courts romans) ne déroge pas à cette règle bien huilée. DAENINCKX
est un auteur prolifique, entre nouvelles, romans, livres pour la jeunesse,
scénarios de BD, c’est un touche à tout de l’écriture engagée. Son but est de
faire renaître des histoires oubliées ou malmenées en leur temps par les
médias. Il tient absolument à la vérité. Sur ce point, il peut être vu comme un
historien doublé d’un journaliste. Il ne s’attarde pas sur le style (même si
celui-ci est fluide), il se focalise sur la documentation, sans relâche, tel un
forçat.
Dans
ce troisième et ultime recueil de 14 novellas, DAENINCKX balaie le XXe siècle,
en France mais pas seulement. Son humanisme, sa révolte, son obsession du
détail caché en font un écrivain des classes populaires. Il est l’un de ces
derniers baroudeurs du roman noir politique et historique qui eut son heure de
gloire en France dans la seconde partie du XXe siècle. La plupart de ses
représentants sont morts. À 70 ans DAENINCKX continue infatigablement à faire
vibrer les mémoires. Souvent la fiction n’est qu’un prétexte pour rendre
hommage à des humains, des collectifs. Comme dans ce « Non à la
guerre ! » où il profite d’une action en pleine première guerre
mondiale où les pruneaux fusent au-dessus des protagonistes pour faire une
éclatante révérence à Jean JAURÈS.
Il
sait aussi régler ses comptes, la « suite espagnole », mini-trilogie
sur la guerre d’Espagne et certaines de ses ramifications, en est l’exemple
parfait : la réputation de l’un de ses aïeuls ayant été piétinée par l’extrême
droite, il remet les pendules à l’heure et rétablit la vérité avec le premier
volet qui ne doit pas grand-chose à la fiction.
DAENINCKX
a connu pas mal de problèmes dans sa carrière, eu un joli paquet de procès
(qu’il a par ailleurs souvent gagnés), mais il continue vaille que vaille,
indifférent aux menaces. Ce recueil est un exemple probant de l’univers de
DAENINCKX, populaire et historique, facile d’accès et politique, se voulant
objectif mais militant, voire violent. Et alors que je vous présente avec
légèreté ces quelque 550 pages sorties au Cherche-Midi éditeur en 2017, les
éditions Verdier ont sorti en octobre dernier un impressionnant recueil de 76
nouvelles (donc format plus court) sur environ 800 pages, il retrace (dans
l’ordre des dates des événements présentés dans les nouvelles s’il vous plaît)
un siècle ½ d’Histoire de France, avec même des nouvelles se déroulant dans un
futur proche. DAENINCKX représente, presqu’à lui seul aujourd’hui, la mémoire
de ce style populaire du XXe siècle, il en est peut-être le dernier
ambassadeur. Pourtant à le lire, il ne paraît pas obsolète. Et accessoirement
nous constatons que puisqu’il fait figure de dernier combattant, il n’en est
que plus précieux, à conserver jalousement dans du formol. On peut ne pas être
d’accord avec lui, mais c’est justement ce qui fait aussi sa force, et son
climat. Et en fin de compte on a le sentiment, en refermant l’objet, d’avoir
appris et même noté quelques références qui pourront resservir lors de soirées
mondaines.
(Warren Bismuth)
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