Un
récit supplémentaire, très fort, que nous livre Antoine WAUTERS dans « Nos
mères ».
L’action
se situe dans un pays du Proche-Orient que l’on ne peut véritablement
identifier. Trois personnages peuplent une maison, quatre si l’on compte le
mort, des dizaines en écoutant Jean.
Jean,
c’est l’enfant, 9 ans, 10 ans à peu près. Il vit sous les toits, dans un
grenier exigu qu’il traverse en quelques pas. Pourquoi le grenier ? Parce
que c’est la guerre, les bombes tombent régulièrement autour de l’habitation.
La mère, quant à elle, tente de préserver son fils unique. Fils unique, pas si
sûr, Jean parle à ses frères et ses sœurs, Maroun, Charbel, Mona, Rita,
Charles… ils sont très nombreux. Ils peuplent ses rêves et les longs silences
de l’enfant en tête-à-tête avec lui-même. Il y a Luc aussi, la petite amie que
Jean nomme comme il veut, même si c’est un prénom de garçon. Il découvre sans
ses bras oniriques les joies de l’amour charnel qui s’achèvent néanmoins dans
l’oreiller, puisque de Luc n’existe que le fantasme.
Jean
n’a pas qu’une seule mère, il a plusieurs mères. Une mère aimante, une mère
distante, une mère malade et qui gobe des cachets bleus. Jamais il ne peut la
nommer au singulier, elle est plurielle. Cette femme en plein deuil vit
principalement au rez-de-chaussée de la maison, tourne et vire, sans jamais
trouver la paix. Au purgatoire, sous le grenier, il y a le grand-père, alité
constamment, qui ne dit quasi plus rien, qui se borne à
perdre du poids, de plus en plus, attendant patiemment et calmement que la mort
l’emporte.
Jean
a un père aussi, un père engagé dans cette guerre, un père qui a été tué.
« Mon amour.
Ma vie.
Mon mari.
Arrêté.
Dépecé.
Atrocement mutilé par les
miliciens puis jeté aux chiens de l’oubli. »
Le
cadavre du père repose aux côtés de son fils, contre lequel il se blottit, aux
heures sombres.
Les
mères préviennent : l’enfant va bientôt pouvoir reprendre l’école, la
guerre semble s’être tue. On prépare les affaires, la date se rapproche,
septembre marque la rentrée.
A
mi-chemin de l’ouvrage, la situation change. Jean est en Europe, en France,
sans ses mères, sans ses frères et ses sœurs oniriques. Jean est désorienté, il
n’arrive pas à faire le lien, que s’est-il passé ? Qui est cette Sophie
qui veut se faire appeler maman, qui elle aussi gobe des cachets bleus, qui
reste alitée toute la journée, et qui pleure. Manuele, son amoureux, qui reste
en retrait, qui vit chez lui, qui passe voir Sophie de temps à autre et qui
joue avec Jean. Luc, bien loin maintenant, remplacée par Alice qui chasse aussi
les émois vécus dans l’oreiller en s’ouvrant charnellement à lui.
Faire
le deuil d’un passé douloureux, faire remonter à la surface les souvenirs
enfouis, les flammes du Saint-Chœur, les disques de Verdi…
Roman
d’apprentissage aux forceps, roman de la résilience, Jean se construit contre
vents et marées.
Le
livre s’achève sur une perspective nouvelle, Jean fait connaissance avec sa
mère enfant, rencontre son grand-père maternel à travers un récit aussi dur et
froid que la roche, la boucle est bouclée car Jean découvre ses mères tout en
laissant derrière lui les vestiges de son passé.
« Ma brebis, ma poule
d’eau, bravo ! Je ne pensais pas que tu arriverais à faire ce que tu fais
là, à te passer de tes amis et devenir toi-même, dur et fort comme le quartz et
la topaze. Bravo ! Maintenant, je fais le vœu que tu ne baisses pas les
bras, que tu tiennes bon. Travaille mon grand, écris, ne t’arrête pas.
Ah ! et aussi : n’écoute pas les conseils des mères. Toutes les mères
sont au bord de la folie et ne savent pas ce qu’elles disent. Du reste, ne
culpabilise pas d’aimer Sophie : on n’a jamais assez d’une mère et toute
main qui se tend est bonne à prendre, crois-moi ».
Avec
bonheur, je me rends compte que je suis loin d’avoir tout lu de ce fabuleux
Antoine WAUTERS, attendez-vous à le revoir, encore et encore. Et pas seulement
chez VERDIER !
(Emilia Sancti)
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