Le titre annonce la couleur, ou plutôt la
douleur : longue dissertation sur l’un des sujets les plus tabous en
France depuis la fin de la seconde guerre mondiale. VIDAL-NAQUET, comme toujours,
va aller chercher avec les dents et une patience redoutable tout ce qui a bien
pu être publié en France sur le sujet, notamment sur les exactions commises
durant la guerre d’Algérie entre 1954 et 1962. Le présent bouquin est d’abord
corrigé en 1972, le temps pour l’auteur de se laisser un peu de recul pour bien
digérer le plat un peu indigeste sur la torture en Algérie.
Corrigé en 1972, oui. Mais écrit dès les
jours suivants la fin de la guerre, il sortit en 1963 à peu près simultanément
en Angleterre et Italie. Pour la version française, entre le sujet qui semblait
éculé et le lectorat pas encore près à affronter le double thème brûlant de la
guerre d’Algérie (que l’on n’appelait par ailleurs pas guerre) et la torture
pratiquée, il faudra patienter et donc relire, corriger, afin qu’une première
version soit présentable 10 ans après la guerre. Mais pour que l’existence même
de la torture en Algérie puisse être expliquée, il faut revenir sur la
situation du peuple algérien avant les événements qui prennent comme point de
départ les violences du 1er novembre 1954. C’est ce que fait
brièvement mais précisément l’auteur.
« La torture dans la
république » est une immense fresque atroce de la torture : sa
naissance dans l’Histoire, son développement, et jusqu’à sa singulière
utilisation durant la guerre d’Algérie, sans oublier certaines propositions de
lois pour la rendre légale (on n’a pas dit « obligatoire », mais dans
nombreux cas on n’en pense pas moins). Refus du gouvernement de la faire figurer
dans la constitution, mais néanmoins protection et couverture pour les acteurs
de tortures (souvent des militaires).
Durant la « pacification », la
torture fut employée tout d’abord en Algérie. Nombreux sont ceux qui pensaient
qu’elle s’y cantonnerait. Mais elle finit pas passer la Méditerranée et se répandre
en métropole. Des algériens ou marocains furent même désignés pour la faire
subir à leurs frères, il faut pour les généraux pouvoir se défendre en cas de
procès.
Des procès, il y aura, entre flops et
déceptions, charbons ardents et tabous, le sujet va être peu évoqué ou
développé en profondeur pendant ceux-ci. Car les militaires ne sont pas seuls
impliqués ou en tout cas défenseurs de la torture des années noires :
l’Eglise se positionne par moments de manière fort troublante voire absolvante.
Quant à l’État, officiellement il remue peu, pas de vagues, sujet sensible,
poudrière assurée. L’envers du décor est tout autre : entre justifications,
motivations, il apparaît, surtout les premiers temps, qu’il a sinon encouragé,
en tout cas légitimé et couvert la torture.
Les médias semblant s’être désengagés du
sujet, même si les premiers articles sont parus dès 1957. Le pays est comme
figé, pratiquant l’autocensure. Ce sont des éditeurs comme les éditions de
Minuit ou Maspero qui vont mettre le feu aux poudres en sortant de véritables
pamphlets contre la torture, en partie sous formes de témoignages à charge
(nous en avons présenté plusieurs sur notre blog). D’où les procès, d’où
l’effet boule de neige, d’où la position de l’autruche intenable de la part de
l’État, d’où le retour de de GAULLE aux affaires, d’où l’escalade de violence
fomentée par l’O.A.S., tout se tient.
VIDAL-NAQUET fut un historien talentueux
et méticuleux, jamais il ne s’enflamma même s’il prit parti. Ici il pèse chaque
mot (les procès il connaît), il ne diffame pas, il apporte des preuves
irréfutables, montre du doigt l’ère des soupçons, le silence médiatique, la peur,
la souffrance, l’arbitraire. Il revient sur des épisodes précis de la guerre
d’Algérie, notamment la manifestation algérienne du 17 octobre 1961 à Paris qui
se solde par une charge phénoménale de la police française, tuant, noyant.
VIDAL-NAQUET y emploie le mot de pogrom. Il revient sans relâche sur sa suite,
les assassinats du 8 février 1962 au métro Charonne. Il enfonce les clous avec
des sujets qu’il connaît bien pour les avoir étudiés en profondeur, notamment
la disparition puis l’assassinat en Algérie du militant communiste Maurice
AUDIN.
Il serait ennuyeux de vous tartiner ici des
pages et des pages sur tout ce qui peut se ressentir en lisant un tel essai.
Pour la vérité, pour l’Histoire, pour le souvenir, pour la mémoire, il faut le lire.
Il fut réédité à plusieurs reprises aux éditions de Minuit, la dernière
réédition en cours, toujours disponible, est celle de 2007. Elle est un poil
corrigée mais absolument pas réécrite, elle reste ce jet d’encre post 1962 et
elle est palpitante et brillante.
(Warren
Bismuth)
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