ÉLUARD
poète de la Résistance, rien n’est aussi vrai qu’en terminant la lecture de ce
recueil de poèmes. Ce livre fait partie à lui seul de l’Histoire. En effet,
sont présents ici les poèmes rédigés par l’auteur durant la seconde guerre
mondiale (et même avant, nous y reviendrons), poèmes sortis clandestinement et
sous pseudonymes.
Le
recueil s’ouvre après le très bref et percutant « Avis » sur trois
courts poèmes originellement parus dans un recueil de poésie sous
l’occupation, « L’honneur des poètes » aux Éditions de Minuit
clandestines en 1943, aux côtés d’une vingtaine de poètes. Sont proposés aussi
les poèmes d’ÉLUARD contenus dans le recueil de titres d’auteurs compilés,
« Europe », toujours chez Minuit clandestin, mai 1944. « Les
sept poèmes d’amour en guerre » édités clandestinement dans le Cantal tout
d’abord en 1943 sont ici reproduits, avant de laisser place à plusieurs poèmes
de la Résistance, écrits et parfois non publiés entre 1944 et 1945.
Le
recueil « Poésie et vérité » complète le volume, 17 poèmes (dont le
célèbre « Liberté ») écrits en 1942 et premièrement publiés la même
année clandestinement aux Éditions de la Main à la Plume ainsi qu’à Alger
aux Éditions de la Revue Fontaine.
Incursion
d’ÉLUARD lui-même pour quelques éclaircissements sur les poèmes choisis et leur
condition d‘écriture, puis le volume se referme sur trois poèmes inspirés par
la guerre d’Espagne et écrits entre 1936 et 1938, donc chronologiquement les
premiers du présent volume.
Ce
« Rendez-vous allemand » est tout d’abord paru en 1944 aux Éditions de Minuit, mais la version proposée
ici, que Minuit a par ailleurs rééditée en poche double fin 2018, est apparue
en 1945, augmentée de celle de 1944, toujours chez Minuit.
Maintenant
que nous voici dans le bain, place à l‘écriture : ces poèmes sont d’allure
très offensive et ne manient pas spécialement la langue de bois. Ils sont à la
fois dénonciateurs et emplis d’espoirs, dans un esprit maquisard et combatif,
que ce soit ceux écrits durant la seconde guerre mondiale ou durant la guerre
d’Espagne, parfois aux côtés de PICASSO pour ces derniers. Le style de ces
poèmes peut paraître classique, mais le contenu, excusez-moi, mais c’est de la
dynamite ! Surgis de l’ombre, ils accrochent et entachent les uniformes
allemands ou franquistes sans douceur, c’est de la haute volée méchamment
acérée.
Et
puis il y a la figure de Paris, du Paris occupé :
« Paris a froid Paris a faim
Paris ne mange plus de marrons dans la rue
Paris a mis de vieux vêtements de vieille
Paris dort tout debout sans air dans le
métro
Plus de malheur encore est imposé aux
pauvres »
Place
est faite aux héros tombés, les Gabriel PERI, les colonel FABIEN, qui ont perdu
la vie pour défendre leur pays contre l’occupant nazi. Les poèmes longs
enchaînent les courts et percutants, les images sont fortes et se passent de
commentaires :
« Habillés de vert
Habillés de gris
La veste trop courte
Le manteau trop long
La croix de travers
Grands de leurs fusils
Courts de leurs couteaux
Fiers de leurs espions
Forts de leurs bourreaux
Et gros de chagrin
Armés jusqu’à terre
Armés jusqu’en terre »
Inutile
de vous en tartiner des pages, c’est dans la solitude et l’isolement qu’il faut
lire, apprécier puis admirer ces poèmes d’une grande pureté, écrits de la plume
d’un humaniste, dissident et courageux, téméraire même, l’un de ces poètes qui
marquent par leur cœur pur et leur art aiguisé. Inutile aussi de préciser qu’ils
sonnent comme d’une actualité encore brûlante et qu’ils m’ont bouleversé. Je
vous laisse les découvrir patiemment, lentement, pour mieux vous en imprégner.
Et,
alors que j’écris ces quelques lignes de mirliton réchauffées et de ce fait
presque impudiques, je réalise que vous avez sans doute déjà pris connaissance
depuis fort longtemps de ce présent recueil, et que mes petites phrases font
plutôt figure de plat préparé en barquette plastique puisque, bien avant moi,
vous avez été envoûté.e.s par l’écriture et l’atmosphère d’ÉLUARD. Mais au cas
où, recevez cette chronique comme une piqûre de rappel, et le fait que la dernière
réédition à ce jour soit récente et à bas prix, cette piqûre tend sans doute à
voyager dans les temps futurs, le contraire serait criant d’injustice.
(Warren Bismuth)
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